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se propose de contribuer à la grandeur et au bonheur des nations et, par là, de travailler au bonheur de l’humanité. Dans la question d’Orient, les solutions opportunistes l’emportent pour la première fois avec notre François Ier : le Turc, sous le patronage du roi Très Chrétien, entre dans la vie européenne ; pour le maintien entre les grandes puissances d’un équilibre qui n’est, à le bien prendre, que la garantie indispensable à leur existence, il devient un facteur si indispensable que « l’intégrité de l’Empire ottoman » et la « souveraineté du Sultan » ne tardent pas à compter parmi les fondemens de l’ordre et de la paix. Les puissances s’opposent, même par la guerre, à ce que l’une d’entre elles obtienne en Orient des avantages exclusifs ; elles prennent de plus en plus les États du Sultan sous leur sauvegarde collective et font de la question d’Orient la question internationale par excellence.

Mais il est de l’essence d’une politique réaliste de se garder de toute intransigeance et de se prémunir contre tout dogmatisme. Le vieil esprit de croisade ou le nouvel esprit d’émancipation sont des faits dont une méthode pratique ne se refuse pas à tenir compte ; les grands politiques savent faire leur part à ces « impondérables, » les discipliner et les tourner à leur avantage. Le principe d’intégrité lui-même n’a rien d’absolu ; il s’adapte aux besoins et aux circonstances. A chaque crise provoquée en Orient par la révolte des peuples sujets de la Porte, les cabinets européens proclament la nécessité de maintenir l’intégrité de l’Empire ottoman ; mais, la paix faite, le calme rétabli, il se trouve qu’un nouveau territoire ou de nouvelles concessions ont été arrachées au Sultan et que, peu à peu, morceau par morceau, ses États fondent et se disloquent, tandis que de nouvelles nationalités indépendantes se constituent et se fortifient. Il est presque sans exemple qu’un pays chrétien, une fois émancipé, ait été replacé sous le joug ; les chancelleries européennes allèguent que « l’opinion publique ne le permettrait pas. » Ainsi la Turquie est européenne sans l’être ; les traités lui en confèrent le titre ; mais, dans la pratique, elle n’en a pas les prérogatives ; elle est admise dans le « concert, » mais elle y reste en tutelle ; de temps à autre d’ailleurs, elle semble vouloir démontrer, par quelques « atrocités » comme celles de 1877 ou celles de 1894-1895, qu’en effet elle a pour gouverner ses sujets des procédés peu conformes aux coutumes civilisées. Les traités