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dont les Arméniens bénéficieraient. Mais, tout en exerçant une pression sur le Sultan, il fallait éviter d’en venir à des mesures de coercition sous peine de voir s’ouvrir cette crise de la question d’Orient que l’on tenait à éviter. Dix-huit vaisseaux anglais, mouillés à Salonique, pouvaient en quelques heures entrer dans les Dardanelles, tandis qu’à Sébastopol l’escadre du Tsar se tenait prête à appareiller et qu’à Odessa 80 000 Russes se concentraient. On pouvait se croire à la veille d’une guerre de Crimée où la France, si elle participait avec l’Angleterre à une intervention armée contre Constantinople, se trouverait entraînée. Le péril était imminent au moment où le cabinet Brisson-Berthelot envoya l’escadre de la Méditerranée à Smyrne. On s’en tira en demandant au Sultan un fîrman autorisant chaque puissance à envoyer dans le-Bosphore un second stationnaire ; ainsi, on continuait à agir collectivement, et on évitait de poser la question des détroits.

A Constantinople, le désaccord latent des cabinets européens et les attentats révolutionnaires des Arméniens, notamment l’attaque de la Banque ottomane le 26 août 1896, paralysaient les gouvernemens en leur faisant craindre de paraître encourager, en Turquie, des crimes contre lesquels ils faisaient, chez eux, des lois d’exception, et donnaient beau jeu à Abd-ul-Hamid pour se contenter de promesses vagues, ajourner toute espèce de réformes et continuer les massacres. Ainsi plus les révolutionnaires arméniens s’acharnaient à faire sortir l’Europe de son attitude passive, plus les moyens auxquels ils avaient recours les empêchaient de réussir. Lord Salisbury à Londres, M. P. Cambon à Constantinople, suggéraient de recourir à une mise en demeure formelle, de fixer au Sultan un délai passé lequel il faudrait avoir recours à des mesures coercitives ; mais, à Paris et à Pétersbourg, on tenait avant tout à ne pas se laisser acculer à des mesures auxquelles le cabinet de Berlin refuserait vraisemblablement de participer et qui pourraient donner à la politique anglaise l’occasion, qu’elle semblait chercher, d’une intervention. L’attitude de lord Salisbury, au début de l’automne 1896, vint justifier la prudente réserve des deux gouvernemens alliés. Le 25 septembre, le chef du Foreign Office se mettait d’accord avec le comte Goluchowski, ministre des Affaires étrangères d’Autriche-Hongrie, sur les moyens de réaliser des réformes et la nécessité de recourir à des mesures d’exécution ;