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puis, le 20 octobre, il lançait un memorandum aux puissances, dans lequel il semblait sonner le glas de l’Empire ottoman. Après avoir affirmé l’échec de la politique d’intégrité et de réformes, il concluait : « Il est devenu évident qu’à moins que ces grands maux puissent être supprimés, la longanimité des puissances de l’Europe ne parviendra pas à prolonger l’existence d’un État que ses propres vices font tomber en ruine. » À ces déclarations alarmantes, M. Hanotaux répondit par le discours du 3 novembre où, définissant les intérêts et les devoirs de la France, il répudiait pour elle toute politique d’aventure ; dans une note du 12 décembre, il précisait le programme de la politique franco-russe et fixait les trois points qui devaient servir de base, et en même temps de limite, aux négociations : maintien de l’intégrité des États du Sultan, pas de condominium européen, pas d’action isolée. En même temps il représentait fermement à la Porte qu’il lui deviendrait impossible de la sauver de la ruine dont l’Angleterre la menaçait si les massacres ne cessaient pas et si des satisfactions réelles n’étaient pas données aux exigences de l’Europe. Le 16 novembre, il faisait venir Munir-bey, et lui déclarait qu’il donnait à M. Cambon l’ordre de quitter Constantinople, s’il n’obtenait pas l’arrestation immédiate de Mazhar-bey, assassin du Père Salvatore, la fermeture du tribunal extraordinaire chargé de juger les Arméniens et l’ordre aux autorités militaires de la Crète d’obtempérer aux réquisitions du vali. En même temps que les puissances, alarmées des procédés de l’Angleterre, se ralliaient autour du programme français, le Sultan sentait la nécessité de tenir enfin compte de l’irritation de l’opinion européenne ; il proclamait une amnistie, autorisait l’élection d’un patriarche arménien, Mgr Ormanian, supprimait le tribunal d’exception. Peu à peu les troubles s’apaisaient, les massacres cessaient, les assassinats se faisaient plus rares. A coup sûr la question arménienne subsistait, et subsiste encore, mais la crise aiguë de la question d’Orient était passée. La politique française avait réussi à conjurer le péril qui menaçait l’Europe, à circonscrire l’incendie, et à prévenir toute complication internationale. La réconciliation du Tsar avec le prince de Bulgarie, sous la condition du baptême orthodoxe du prince héritier Boris, négociée à Paris, dans l’hiver 1896, sous les auspices d’un haut personnage politique français, avait empêché les troubles de s’étendre à la Macédoine et la Bulgarie d’entrer en