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Tout vide qu’il nous apparaisse, cet amour pur, dernier degré de l’amour mystique, ne peut être encore que la sublimation de toutes les affections terrestres ; il ne serait rien sans elles, et il n’est à tout prendre qu’une résultante, dont les élémens composans se sont peu à peu confondus et décolorés.


III

Mais ce n’est pas connaître vraiment l’amour mystique, que de le connaître uniquement en lui-même. On doit encore se demander pourquoi certaines âmes en subissent si profondément l’attrait.

Que beaucoup de mystiques soient allés à l’amour de Dieu, sous l’influence de l’exemple, on n’en saurait douter. Il fut en effet des siècles mystiques, au moyen âge ; et il fut des couvens mystiques comme la célèbre maison des Unterlinden où vécurent Elisabeth de Rouffac, Gertrude de Bruck, Adélaïde de Siegelsheim, et tant d’autres. Mais les grands mystiques sont des âmes trop originales et trop personnelles pour subir profondément les influences de leur milieu ; et la preuve en est qu’on les rencontre à tous les temps de l’histoire de l’Église. Au XVIIe siècle, quand la religion semble vouloir surtout réaliser l’unité sociale, l’harmonie collective des cœurs, c’est sainte Chantai, Marie Alacoque, la Solitaire des rochers, Mme Guyon, qui s’écartent de la doctrine commune pour vivre en Dieu. Au XVIIIe et au XIXe siècle, malgré les progrès du rationalisme, on n’a que l’embarras du choix pour citer des noms comme Anne de Rémusat ou Catherine Emmerich. C’est que, pour toutes ces âmes, quelle que fût par ailleurs la diversité de leurs caractères, le mysticisme a constitué un besoin irrésistible ; et, pour se faire une idée exacte de ce besoin, il est indispensable de pénétrer dans les cœurs qui l’ont le plus profondément éprouvé.

Avant d’avoir trouvé en Dieu son équilibre et son repos, le mystique est en général un être qui souffre de toutes les contradictions de la vie intérieure.

Et tout d’abord, chez la plupart d’entre eux, la vie physique est loin d’être normale. Le système nerveux souvent affiné et troublé par l’hérédité, plus souvent par la vie monacale, ne présente plus cette stabilité et cette régularité qui fait la santé ; des périodes de dépression ou d’excitation viennent, de temps à autre,