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apporter, sans cause morale apparente, de longues tristesses et de longues joies.

Le mystique, interprétant ce rythme qu’il ne comprend pas, se déclare tantôt plein de vie et de confiance en Dieu, tantôt plein de sécheresse et d’inquiétude, et il aspire après un équilibre d’esprit qui l’assure contre ces chutes multiples où il se croit chaque fois abandonné de Dieu. Mais les causes de ces chutes sont si profondes qu’elles disparaissent rarement sous l’influence de la foi mystique et qu’elles viennent souvent, à intervalles irréguliers, couper les périodes de grâce, comme chez Mme Guyon et sainte Rose de Lima.

Quand le mystique n’est pas sujet à des oscillations aussi marquées de sa vie nerveuse, il peut encore éprouver, suivant un rythme moins apparent, de la gêne ou de la facilité à se recueillir, à concentrer sa pensée sur les choses divines ; et c’est encore une source d’angoisses que cet éparpillement de son esprit qu’il ne peut plus coordonner ni diriger à son gré. Sainte Thérèse décrit très bien cet état de l’âme qui se cherche sans se trouver et qui ne sait ni penser ni vouloir : « Le démon, » dit-elle, « paraît être alors le maître de l’âme pour l’occuper ainsi qu’il lui plaît de mille folies, sans qu’elle puisse penser à rien de bon. Il ne lui représente que des choses impertinentes, ridicules, inutiles à tout, et qui ne servent qu’à l’embarrasser comme à l’étouffer, de telle sorte qu’elle ne se reconnaît plus elle-même. Ainsi il me semblait que les démons se jouaient de moi comme on se jouerait d’une pelote et qu’il m’était impossible de m’échapper de leurs mains. Qui pourrait exprimer ce que l’âme souffre en cet état ? L’âme cherche du secours, et si Dieu ne permet pas qu’elle en trouve, il ne lui reste que la lumière du franc arbitre, mais si obscurcie qu’elle serait comme une personne qui aurait les yeux bandés[1]. »

Il y a ainsi dans la vie de tous les mystiques, et surtout dans la période qui précède l’épanouissement de leur amour, des variations brusques ou lentes de leurs sentimens, de l’instabilité, des sautes de leur humeur, qui font de leur vie mentale une énigme à leurs propres yeux, et leur font souhaiter ardemment l’appui divin où leur âme trouvera enfin son repos.

Et tandis que leurs sentimens oscillent de la sorte, leur vie

  1. Autobiographie, ch. XIX.