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causé en rentrant vers dix heures. J’aime bien ce pays. J’y retrouve déjà le plaisir que j’avais en Angleterre : on est paisible.


Le lendemain, à son réveil, quelle n’est pas la surprise de Fantin en entendant sous ses fenêtres un gamin qui siffle l’air du matelot de Tristan et Iseult ! Puis il sort, il arpente la ville, il va voir la statue de Jean-Paul ; il se rend à la poste où il trouve deux lettres qui lui font plaisir : l’une de son ami, le peintre ; Otto Scholderer, alors fixé à Londres, qui l’engageait vivement à passer par Francfort pour y voir sa famille ; l’autre lui apprenant que son envoi à l’Exposition d’Anvers (Panier de roses) était très bien placé ; il flâne aux devantures des boutiques, achète quelques souvenirs photographiques pour ses amis, mais laisse de côté les cravates-Wagner et les casquettes-Bayreuth ; il. mange à droite, à gauche, là où le hasard le mène avec ses amis ; il déjeune avec tout un groupe de musiciens de l’orchestre, ce qui l’amuse, et dîne ou soupe au restaurant du théâtre, ce qui l’enchante, en face du délicieux panorama de la ville et des coteaux qui bordent la vallée du Mein rouge. Mais le malheur est qu’il pleut toujours.


Arrivons à la Valküre. C’est superbe. Splendide est la chevauchée et aussi l’ensemble des Walkyries ; les reproches de Wotan, leurs cris pendant le combat, puis en face de Wotan quand elles cachent Brunnhilde, hors de toute comparaison. Une violence passionnée, inouïe. Bien fatigans les récits de Wotan, délicieux le lied du Printemps, mais mal chanté par Niemann qui n’est pas bon. Très bien Brunnhilde et Sieglinde. Belle décoration la demeure de Hunding ; la porte ouverte par le printemps, l’épée dans l’arbre, grande idée poétique. Il est rempli d’imagination. Un seul reproche à faire : son idéal, trop élevé pour le théâtre, est insuffisamment rendu. Il tente l’impossible, mais aussi, quand il réussit, c’est-à-dire quand on le rend comme il le veut, c’est admirable. Les adieux de Wotan très beaux, très beaux les cris de Brunnhilde. Dans l’entr’acte, descendu dans l’orchestre, c’est superbe. Je comparerai cela à une magnifique cuisine, pleine d’ustensiles de toute sorte (mais je vous dirai cela). Wagner a été aperçu dans un coin du théâtre ; ce furent des cris, des cris ! À la fin, c’étaient des transports enthousiastes. À peine la fanfare (qui me produit toujours grand effet) se fait-elle entendre que voilà la nuit, et le Roi, suivi de Wagner, entre ; mais on peut à peine les voir. Nous avons aperçu MM. Mendès, d’Indy d’Eichthal, etc., mais il y a très peu de Français ; nous faisons sensation, ou est très aimable partout, très obligeant.

Je ne peux pas rendre ce qui se passe ici, c’est une fête très animée. Ce Théâtre dans les champs, ces belles vues tout autour, les restaurations, tous ces voyageurs qui vont et viennent. Les habitans paraissent enchantés. La