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présence du Roi anime la ville, qui est paisible comme autrefois Versailles. Des grandes voitures partout, à l’heure du théâtre, qui se suivent ; pourtant pas de cris, c’est un public choisi. Je suis enchanté d’être venu. Que je regrette de ne pas vous avoir ici ! Nous irions où je vais de ce pas, à la maison de Wagner. Je vais là tous les jours, je tourne autour et je suis content. Adieu ; à demain Siegfried.


Pour les spectateurs de cette troisième série, comme pour ceux des deux premières qui avaient eu lieu du 13 au 17 août et du 20 au 23, la soirée la plus brillante et celle qui leur causa à la fois la surprise la plus vive et l’impression la plus profonde, ce fut celle où ils entendirent Siegfried, et certes, il fallait que l’enchantement et l’émotion qui se dégageaient de cette partie de l’œuvre fussent singulièrement puissans pour dépasser l’effet prodigieux que la Valkyrie avait produit la veille sur tous les assistans. Fantin ne résista pas plus qu’un autre à l’enthousiasme général, et sa troisième lettre n’est, d’un bout à l’autre, qu’une explosion de joie délirante.


… Il n’y a rien en musique d’aussi beau, s’écrie-t-il. J’ai été enlevé non pas seulement un moment, mais constamment et par degrés toujours plus élevés ; le duo est une scène entière, c’est prodigieux ! Mme Materna est superbe, le ténor moins bien, mais rien n’y fait, c’est la plus grande sensation encore ressentie ! Oh ! son éveil ! presque dit seulement par l’orchestre, ravissant et sublime, et la situation, la mise en scène ! Un lever de soleil comme effet, ah ! que c’est beau ! Les musiciens ici semblent mettre cela au-dessus des autres partitions. La scène des oiseaux est charmante, le rôle de Mime si bien chanté et joué ! Voilà une surprise de trouver Wagner plein de naturel, de comique, lui, le musicien de Lohengrin. Ce Siegfried est si bien imaginé !…

… Que je suis content d’être ici ! J’ai vu Wagner d’assez près. Il paraît vieilli, presque tout blanc, il est très petit. Un vieux savant ou diplomate. Madame ressemble beaucoup à Liszt que l’on voit partout, toujours avec des femmes autour de lui. Le dîner et souper à la Restauration-Wagner est très amusant. Lascoux a fait connaissance avec un musicien de Montbéliard qui est un grand partisan et est venu s’offrir comme exécutant. La salle est très chaleureuse. Le Roi a été acclamé sur la proposition de M. Feustel (le banquier organisateur), ç’a été étourdissant de bruit, chapeaux en l’air, etc. Il pleut toujours, nous sommes rentrés hier par un temps ! Pluie à verse, des chemins ! Heureusement que nous avions bien soupe. Menu : Suppe Kalb, ragoût de veau, roastbeef et bière Quelle bière ! Que je suis content d’être ici ! À demain.


Le Crépuscule des Dieux, en revanche, exerça une action moins immédiate et moins forte, au moins jusqu’au dernier acte, sur des auditeurs qui ne connaissaient pas encore assez tous