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leur situation est connue, définie ; ils ont des voisins qui leur portent intérêt ; ils ne sont pas tout à fait isolés. Les nécessiteux d’occasion sont plus rares. On en rencontre passage Cardinet, rue de la Félicité, rue Dulong, rue de Lévis, rue Salneuve, rue Saussure.

Deux parts sont à faire dans le quartier des Epinettes : l’une se trouve sur le côté antérieur de la butte Montmartre, l’autre est enfermée entre la butte et la gare des marchandises de la Compagnie de l’Ouest. La première est une suite des Batignolles, avec plus de commerce, plus de mouvement, plus de circulation, surtout dans l’avenue de Clichy ; la seconde est une région essentiellement ouvrière. Cette gare des marchandises occupe plus du tiers des Batignolles, et son personnel est énorme. Il y a obligation pour beaucoup de loger tout près ; car la durée du service est de dix heures, le travail de jour alternant, toutes les semaines, avec le travail de nuit. Comme ces familles ont un très grand nombre d’enfans ; et comme les salaires sont modestes, elles ont parfois besoin de secours. A côté d’eux, vivent les cochers des Petites Voitures, les employés de la Compagnie des Omnibus, les ouvriers de l’usine Gouin, où l’on construit du matériel de chemins de fer, ceux de l’industrie métallurgique des Ternes, enfin des maçons, couvreurs, peintres, et généralement ceux qui appartiennent à l’industrie du bâtiment. Ce sont eux qui ont édifié, depuis trente ans, les maisons neuves des Ternes, de la plaine Monceau, des Batignolles, et qui maintenant font la même chose à Montmartre. Toute cette population vit de son travail ; parfois elle est à l’aise ; mais il y a des coins de misère noire. La cité du Nord, par exemple, non loin de la rue Boulay, est formée de constructions en planches où logent en commun, à la nuit, une colonie de nomades, marchands ambulans, journaliers sans profession définie, qui rappellent les figures de la cité Jeanne-d’Arc. D’autres foyers sont aussi à noter : l’impasse des Epinettes, l’impasse Saint-Ange, le passage du Grand-Cerf. Relativement, il y a beaucoup moins de vieillards qu’aux Batignolles.

Ainsi, pour l’arrondissement, se trouvent localisés des types d’habitans qu’on est surpris de rencontrer si peu loin les uns des autres : le gros industriel, le riche propriétaire, le petit rentier, le modeste employé, l’ouvrier, et le journalier loqueteux. Ils n’habitent pas les mêmes régions ; ils ne se pénètrent pas et n’ont entre eux aucun rapport.