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long, prendre de nouvelles formes qui permettront à l’Egypte et au Soudan égyptien de retirer du Nil tout ce qu’il peut leur donner. Cette idée a pour succédané celle d’un réservoir établi, non plus dans le lit même du fleuve, mais dans la vallée parallèle et relié au Nil par des travaux d’art, sur le modèle du fameux lac Mœris. L’imagination des ingénieurs lui a donné des formes très diverses, au cours de ces dernières années. Plusieurs emplacemens furent proposés. En 1890, sir W. Willcoks, l’éminent ingénieur, qui dirigea longtemps le service des irrigations, fut chargé de faire sur la question un rapport définitif. Il n’examina pas moins de dix projets et donna la préférence à celui d’entre eux qui tirait parti de la cataracte d’Assouan. Soumis en 1894 à une commission internationale, ce projet fut approuvé par elle, puis exécuté en quatre années par une maison anglaise, au moyen de capitaux fournis par des banquiers britanniques et remboursables par le gouvernement khédivial en soixante semestrialités de 78 613 livres égyptiennes. Cet ouvrage fut inauguré le 10 décembre 1902. Qu’on se représente, au sommet de la cataracte, un lac parsemé d’îlots, les uns rocheux, les autres verdoyans, au milieu desquels se détache en pleine lumière la fine silhouette du temple de Philœ, maintenant à demi submergé. Les falaises circulaires de deux montagnes surplombent le miroir liquide aux reflets changeans, semblent se rejoindre dans le fond vers le Sud et n’ouvrent au fleuve, de l’autre côté, en aval, qu’un chenal assez étroit, tout embalisé de gros rochers granitiques. Sur ces assises naturelles on a jeté les cent onze arches, armées de vannes en acier derrière lesquelles l’eau peut monter à une hauteur de 20 mètres, d’un pont rectiligne, continué par un mur plein. Ce barrage, long de 1 966 mètres qui ferme la vallée et la transforme en un réservoir de plus d’un milliard de mètres cubes, est percé de 180 ouvertures destinées au passage de l’eau et qui en permettent l’écoulement. A son extrémité gauche, un canal de navigation a été creusé dans le roc.

Tant que le Nil charrie du limon, toutes les portes restent ouvertes. Aussitôt que le courant commence à devenir clair, ce qui se produit en octobre ou en novembre, suivant les années, on ferme graduellement les portes. Le relèvement du niveau du fleuve se fait sentir jusqu’à 160 kilomètres en amont. La provision d’eau ainsi recueillie a permis d’entreprendre aussitôt l’application de l’irrigation permanente à 190 000 hectares de terres à bassins.