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de l’ordre public est, aux yeux des socialistes français, une considération plutôt secondaire. La propagande par le fait appelle leur indulgence, et l’emploi de la force ne leur semble condamnable que si on y a recours contre eux-mêmes. En Australie, le respect des personnes et des propriétés est un principe absolu, bien que la criminalité n’y soit pas au-dessous du niveau moyen des autres nations civilisées. Il faut remonter aux grandes grèves de 1890, 1891 et 1892, pour trouver dans les annales des syndicats ouvriers australiens la trace de désordres sérieux. Les actes de violence, — ou plutôt de brutalité, — qui se sont produits depuis cette époque, à l’occasion de conflits industriels, ont été fort rares,’malgré la fréquence de ces conflits. Ils ont toujours pu être réprimés par les voies légales, sans déploiement de forces, même policières. L’obéissance à la loi a puissamment servi le mouvement socialiste australien. L’attitude correcte du parti ouvrier a fait excuser et, dans une certaine mesure, a dissimulé la vigueur de, son action, son indifférence pour les intérêts privés ou publics qui n’étaient pas les siens, son âpreté à user de ses avantages et à pousser jusqu’à la tyrannie l’exercice de droits acquis ou seulement tolérés. Dans cette nation où, comme en tout pays britannique, et plus qu’en France, les classes sont distinctes les unes des autres, où se manifestent entre elles des sentimens de réciproque froideur et l’habitude de marquer les distances, une conduite moins prudente eût compromis dès le début les efforts du parti socialiste. Chez nous aussi, les mêmes aspirations eussent rencontré moins de résistance si les meneurs du mouvement n’avaient eu la maladresse de s’aliéner les patriotes, d’exaspérer les croyans et d’effrayer les gens paisibles. Ils ont donc commis de graves et peut-être irréparables fautes ; mais elles sont commises. C’est pourquoi sans doute, ils ne veulent rien savoir de la leçon politique qui leur est donnée à l’autre bout du monde, et n’ayant pas su en profiter, désirent qu’elle nous reste inconnue. Elle n’en est que plus intéressante.


I

Le labour party australien hésite à accepter franchement l’épithète socialiste. Ses chefs l’emploient depuis peu, l’accompagnant de restrictions, de réserves et de réticences. C’est ainsi