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qu’on habitue l’esprit public à des conceptions qui lui semblaient d’abord inquiétantes. Avec le temps, les correctifs s’atténueront, la pensée dominante se dégagera, jusqu’à découvrir le programme socialiste pur et simple, dont le dernier mot est celui de « collectivisme. »

La modération du langage des socialistes australiens, et plus encore leur souci de ne s’attacher qu’à des réformes d’une réalisation prochainement accessible, ont contribué à la formation d’une légende. Des voyageurs, qui avaient étudié le pays un peu rapidement, ont déclaré que c’était celui du socialisme « sans doctrine. » Le socialisme étant une doctrine, — même un dogme, — l’expression manque de clarté. Mais si on a voulu dire que la politique du parti avancé, en Australie, poursuit des réformes administratives, fiscales et judiciaires, ayant pour objet d’améliorer le sort du plus grand nombre, sans intention de porter atteinte aux principes de liberté et de propriété individuelles sur lesquels reposent encore les sociétés civilisées (et les mots « sans doctrine » ne sauraient avoir un autre sens), on était dans l’erreur. Le parti socialiste, en Australie comme en Europe, est le serviteur et l’organe d’une classe qui espère trouver la satisfaction de ses intérêts dans un nivellement égalitaire obtenu par degrés. Il s’attaque à la constitution du capital parce que cette constitution est le ressort nécessaire des initiatives privées, et parce que ces initiatives sont la source des inégalités qu’il se flatte de supprimer. Mais plus sage et plus pratique qu’on ne l’est en France, il trouve inutile de s’attarder tout d’abord aux considérations philosophiques, n’en recherche pas la discussion et p'r conséquent s’abstient d’en faire parade. Le socialisme australien n’est pas sans doctrine. On ferait mieux ressortir la différence qui le sépare du nôtre en disant qu’il est sans déclamations. S’il est exclusif et se garde des influences du dehors, tandis que notre socialisme fait appel au sentiment de la solidarité internationale, c’est parce que, hostile au principe de libre concurrence et s’appliquant à le détruire en Australie, il ne veut pas que les autres peuples en fassent l’application à ses dépens. Il croit que la situation géographique du pays lui permet de faire son expérience en vase clos, et il écarte ce qui pourrait la troubler. Les socialistes européens ne sont pas dans les mêmes conditions ; aussi ont-ils recours à une autre tactique.

Avant l’accomplissement de la Fédération (janvier 1901)