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tragédie musicale, c’est le style, le style verbal, autrement dit la parole (analysant un genre dont le poète fut Scribe, on n’ose prononcer le mot de poésie). Je suis très loin de souscrire au fameux, à l’injurieux paradoxe : « Ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante. » Mais il faut bien avouer que ce qui se chante n’avait pas encore été dit comme les librettistes d’Auber et de Rossini, d’Halévy et de Meyerbeer, n’ont pas craint de le dire. Plus d’un exemple de leur lyrisme est devenu classique. Ce n’est rien que l’ellipse hardie où se trahit l’émoi de Valentine tremblant pour le salut de Raoul : « Ses jours sont menacés ! ah ! je dois l’y soustraire, » ou le pléonasme de Selika : « D’ici je vois la mer immense et sans limites. » Mais Offenbach peut-être, l’Offenbach de la Belle Hélène [Nous dînons à sept heures), eût aimé, pour sa couleur épulatoire et familière, ce distique impatient d’un convive sans façons : « De ces lieux enchanteurs châtelain respectable, Pourquoi, mon cher Nevers, pourquoi ne pas nous mettre à table[1] ? » Quant à la vérité historique, si, comme nous essaierons de le faire voir, elle se trouve souvent dans la musique de Meyerbeer, les paroles de Scribe n’y atteignent que rarement. « Mon frère Chaînes IX, » ainsi commence la reine Marguerite, haranguant les gentilshommes catholiques et huguenots de sa cour. De même, dans certains autographes de fantaisie, on voit Blanche de Castille écrire à son fils : « Mon cher saint Louis. » L’invitation au tournoi, de la Juive, est formulée en ces deux hexamètres :


Au nom de l’Empereur, de l’honneur et des dames,
Qui des nobles guerriers électrisent les âmes,


où la métaphore électrique, à l’époque du concile de Constance, a peut-être quelque chose de prématuré.

Dans un tournoi littéraire ou poétique, avec le librettiste même des Huguenots et de la Juive, du Prophète et de l’Africaine, ceux, — car ils se mirent à deux, — ceux de Guillaume Tell, Hippolyte Ris et de Jouy, pourraient sans crainte se mesurer.


Toi, du berger astre doux et timide,
Qui sur mes pas vas semant tes reflets,
Ah ! sois aussi mon étoile et mon guide,
Comme lui tes rayons sont discrets.
  1. Les Huguenots, acte Ier.