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Cela, c’est le second couplet de Sombres forêts, en style élégiaque ; voici, dans le goût lyrique, la déclaration d’Arnold, un paysan, à Mathilde, une princesse :


Il faut parler ! Il faut, dans ce moment
Si cruel et si doux, si dangereux peut-être,
Que la fille des rois apprenne à me connaître.
J’ose le dire avec un noble orgueil,
Pour vous le ciel m’avait fait naître.
D’un préjugé fatal j’ai mesuré recueil.
Il s’élève entre nous de toute sa puissance.
Je puis le respecter… mais c’est en votre absence.


Cependant, à mesure que je transcris ces étonnantes paroles, : voici que, pour ainsi dire, sous mes doigts, les notes, extraordinaires autrement, s’éveillent, s’envolent et se mettent à chanter. Soudain le vide s’emplit, les divagations prennent un sens, une beauté supérieure, et se transforment presque en délire sacré. A l’absurde récitatif d’Arnold, un autre, du même héros, et non moins égaré, celui du premier acte, a beau s’ajouter encore : « Contre l’avalanche homicide, Ma force te servit d’égide. » Comme une avalanche aussi, mais que nulle force n’arrête, la musique roule, se précipite et, dans sa course victorieuse, entraîne, abîme tout, la folie du discours, et nos scrupules, et nos réserves, et notre résistance même.

Malgré nous alors, et par réaction ou par antithèse, nous pensons à d’autres livrets, de vrais poèmes, ceux-là. Ils s’appellent Tannhäuser, ou Lohengrin, ou Tristan. Tragédies, beaucoup plus que drames lyriques (ainsi qu’on les a nommés à tort), les paroles mêmes, et même sans musique, sur un théâtre littéraire, en seraient dignes d’être récitées et entendues. A nos opéras d’abord, il semble que la comparaison ne doive être que fatale. Mais aussitôt, et par un singulier retour, elle leur redevient favorable. Elle relève le genre que par elle on pouvait croire humilié. Elle nous montre en effet, que s’il est glorieux pour la musique d’ajouter encore à la parole, la musique peut être fière aussi quand elle y supplée, lorsque du néant elle tire la vie, et qu’avec le médiocre et l’absurde, elle sait faire, comme elle y a maintes fois réussi dans l’opéra français, de la raison et de la beauté.

Différent, — ou déchu, — de la tragédie lyrique par le style qu’il emploie et les sujets qu’il traite, l’opéra que nous étudions