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jaillisse ensemble plus de dramatique et de musicale beauté, que la réplique de Guillaume au pécheur. Beau le dramatique, par le contraste entre les deux personnages et les deux sentimens, entre la douceur et la douleur de vivre, plus au fond encore, entre l’insouciance de la nature et le souci d’un grand cœur. Quant à la beauté musicale, où donc ici n’est-elle pas : depuis l’ampleur et l’envergure de la phrase ; depuis le mouvement et le rythme, non seulement de la mélodie, mais de l’accompagnement ; depuis l’arsis ou l’élan de la voix, soulevant par deux fois, avec un effort redoublé, les deux mots, si lourds ; de fardeau et d’ennui, jusqu’à la plénitude sonore et tonale de toute la période, jusqu’à l’énergie et à la richesse croissante des modulations, enfin jusqu’à cet éclat suprême, en majeur, où la honte même de la patrie s’efface eu quelque sorte et se perd dans l’orgueil, dans la volupté d’en souffrir et dans l’espoir de la venger ?

D’un bout à l’autre de ce répertoire d’opéra, nous voyons les personnages dramatiques s’affronter et se heurter ainsi. Chez Meyerbeer, la moindre rencontre prend un air de combat. Rappelez-vous, au premier acte des Huguenots, Marcel trouvant son jeune maître assis au festin de l’impie, et la rudesse de sa réprimande, la ferveur de sa prière. Quel débat encore, au dernier acte de Robert le Diable, entre Bertram et Robert ! Comme les répliques se croisent ! Parfois comme elles se joignent et se nouent, jusqu’à ne former, sur les dernières paroles : « Oui, c’est Dieu lui-même ! — Hélas ! oui, c’est Dieu ! » et sur un espace de deux octaves descendantes, qu’un seul et même accord parfait. Alors survient Alice et l’action se renouvelle et se ravive. L’action décidément, le drame, l’emporte ici sur l’idée et le symbole. On a raconté (Blaze de Bury toujours) que « pendant les dernières répétitions de son ouvrage, Meyerbeer reçut de sa mère une lettre avec cette inscription : A ouvrir après la première représentation de Robert. Sitôt rentré chez lui, le soir du triomphe, le fils rompt à la hâte l’enveloppe et lit. C’est la bénédiction biblique dans la simple majesté de son texte : « Que Dieu te bénisse et te garde ! Qu’il fasse luire vers toi sa face et te soit favorable ! Qu’il te regarde et te donne la paix. » Puis, au bas de ces lignes, la signature de sa mère. » Je ne relis jamais le cinquième acte de Robert sans penser à cette anecdote. Elle l’agrandit et le prolonge, non pas dans le sens du symbolisme, mais dans celui de