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la vivante, humaine et dramatique réalité. Elle évoque l’ombre, ou l’âme, d’une mère véritable, priant pour le génie et le salut de son fils.

Si nous passons de Robert au Prophète, est-il rien de plus dramatique, dans la cathédrale et devant la foule attentive au scandale, que les regards, puis les mots échangés entre la « pauvre femme » et son enfant ingrat ? Quelle antithèse, — et de quelle vigueur ! — entre l’irrésistible reconnaissance et le reniement injurieux ! Dans les Huguenots enfin, c’est un duel, autant qu’un duo, que l’immortel dialogue de Raoul et de Valentine, et leurs chants à tous deux, tour à tour unanimes et contraires, ne sont pas moins beaux de l’horreur qui les arrache l’un à l’autre que de l’amour qui les réunit.

Parfois, souvent même, — on l’a noté précédemment, — le drame, de particulier ou privé qu’il était, devient public. La foule y intervient, et c’est une des gloires de notre musique de grand opéra, que de n’être pas inégale à la foule. Elle fait vivans des groupes, des multitudes, et nous dirions des masses, comme on le dit, si le mot, avec autant de puissance, avait moins de lourdeur et plus de vivacité. La vivacité seule donne de la couleur et du piquant à la scène du marché dans la Muette de Portici. Mais elle ne pouvait suffire à sauver les autres passages populaires de la trivialité, sinon de la bassesse. A quelle hauteur, au contraire, s’élèvent et se soutiennent, dans le chef-d’œuvre de Rossini et dans ceux de Meyerbeer, non seulement des « ensembles » et des « finales, » mais quelquefois des actes presque tout entiers, partagés entre un seul personnage et plusieurs, entre une voix unique et d’innombrables voix.

De tous côtés, les voyez-vous qui se rassemblent, les chorèges fameux et leurs chœurs sublimes : les uns pour conduire et commander ; les autres, tantôt pour résister et tantôt pour se soumettre. Ici, Bertram évoque et prend à témoin de son angoisse paternelle ses sujets infernaux. Là, c’est le vieux Marcel appelant « tout Israël en émoi » au secours de son maître. Jean de Leyde au bord de l’étang glacé, courbe ses bataillons rebelles sous le poids de sa colère, pour les relever aussitôt au souffle de ses cantiques. Quelques instans après, sa voix, ouvrière encore de miracle, mais de miracle sacrilège, détournera les fureurs anabaptistes du sein de Fidès contrainte à s’accuser de mensonge et de blasphème. D’autres héros encore, et des héroïnes même : un