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historique et pittoresque de l’opéra français en général et de l’opéra de Meyerbeer en particulier.

Historique moins que légendaire, Guillaume Tell est une série, une double série de magnifiques paysages : paysages de jour en premier acte ; au second, paysages de nuit.

Partagée entre la nature et l’action, l’ouverture elle-même a fait à la première, et de beaucoup, la meilleure part. S’il pouvait y avoir, dans le monde sonore, une seconde Symphonie Pastorale, elle serait ici. On sait la beauté des trois tableaux ou des trois momens rossiniens : le calme, l’orage et le retour du calme. Le premier est d’une grandeur et d’une mélancolie à la Chateaubriand. (Je songe à ces quatre violoncelles, moins étranges que les quatre cors du Freischütz, mais plus tendres, et dont les voix enlacées et qui montent, font surgir en nous aussi je ne sais quelle vague tendresse.)

L’orage est peut-être encore plus saisissant quand il menace, puis quand il s’éloigne, que lorsqu’il éclate et se développe. Rappelez-vous le malaise, l’angoisse de certaines notes posées en syncopes, et comme de biais, sur des roulemens continus. Puis, avec quelle facilité, quel naturel et quel sourire aisément retrouvé renaît le calme, non plus mélancolique cette fois, mais au contraire inondé, ruisselant de joie. Ce chant de ranz, porté sur des accords de quintes, et qui passe, — un seul moment, — du majeur au mineur comme de la lumière à l’ombre, ce chant demeure jusqu’au bout grave et religieux. Mais autour de lui, d’abord égayées et vives, bientôt enivrées, éperdues, s’enroulent, se déroulent et rejaillissent des vocalises de flûte. La symphonie s’accroît et s’enrichit, elle s’éclaire, elle se transfigure en une apothéose admirable de plénitude autant que de légèreté. Vraiment cela n’est pas très loin, — pour un instant, car cela ne dure pas davantage, — de l’hymne d’actions de grâces par où s’achève le poème beethovenien.

Dix, vingt paysages, dans le premier acte de Guillaume Tell, égalent celui-là, sans le reproduire. Le sentiment, ou mieux tous les sentimens de la nature animent ces chœurs innombrables, incomparables même entre eux, variés comme le mouvement ou l’action et la contemplation ou le rêve, comme le torrent dans sa course et le lac dans son calme et sa pureté.

C’est l’idylle d’un peuple, que ce premier acte ; mais le second en est l’épopée. Une épopée qui reste pastorale et