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agricole. Tout distingue, en effet, le fabricant et l’agriculteur : procédés, but, moyens, nature des choses. Le premier achète de la matière première pour la transformer ; le second crée lui-même la matière première pour les plantes et les animaux, il dispose de la vie, selon le mot de Laveleye, de la puissance de multiplication ; le fonds de roulement de l’un est essentiellement mobile, se renouvelle toujours, celui de l’autre est par essence fixe, immeuble par destination. Le fabricant achète et revend à terme, l’agriculteur opère presque toujours argent comptant. Les opérations de l’industrie et du commerce sont rapides, les bénéfices faciles à prévoir ; les opérations de l’agriculture sont à long terme ; elle fait à la terre des avances qui ne lui sont pas toujours remboursées, car le soleil, la pluie, deviennent parfois ses collaborateurs et parfois ses plus cruels ennemis : une sécheresse, un orage violent, une épizootie peuvent détruire en quelques jours les plans les mieux concertés. Elle ne saurait donc, comme le commerce et l’industrie, s’accommoder du papier court, il lui faut du papier long, il lui faut du temps. Or ce qui fait le profit du banquier, c’est le mouvement de l’argent ; donc, toutes choses égales, l’escompte agricole sera moins rémunérateur que l’escompte commercial. D’autre part, la situation du cultivateur, moins exposé aux brusques virevoltes de la fortune, ne se dissimule pas aisément ; de plusieurs lieues à la ronde, on sait s’il est mal dans ses affaires ou s’il a de quoi. Il suffit, au contraire, d’une spéculation malheureuse pour qu’un industriel, bon aujourd’hui, devienne mauvais demain. Il y a donc moins de danger à consentir un an de crédit à celui-là que trois mois à celui-ci : crédit signifie confiance, et qui, mieux que la terre et l’homme de la terre, mérite d’inspirer confiance ?

Mais ce sentiment qui va se monnayer, peut-on dire qu’on le retrouve dans le crédit foncier ? Celui-ci livre un immeuble comme garantie d’une dette ? Est-ce là le crédit, ou n’en est-ce pas un peu l’antipode, je dis un peu, car il comporte lui-même quelque aléa, l’immeuble pouvant être atteint par une dépréciation impossible à prévoir, le débiteur recourant parfois et avec succès à des ruses qui font plus d’honneur à son sens diplomatique qu’à sa bonne foi. Le prêt sur hypothèque, cela rappelle en quelque mesure les contrats par lesquels le beau-père marie sa fille selon la coutume de Normandie, l’épée au côté : il ne se méfie pas, mais il ne se fie point, et préfère la précaution