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inutile à l’absence de précautions ; on peut le comparer à un général avisé qui envoie de toutes parts des éclaireurs, des espions, place lui-même ses grand’gardes, et n’abandonne au hasard que ce qu’il ne peut lui enlever.

Le crédit agricole proprement dit suppose l’absence de toute garantie foncière, soit que le débiteur ne puisse, soit qu’il ne veuille la consentir. Il peut avoir besoin d’argent pour acheter des engrais, du bétail, des instrumens : il le trouve cet argent, mais à quel prix ! Que de contrats usuriers, ne fût-ce que ce système de la retenue, consacré en fait par le Gode civil et très usité dans l’Est, où le bailleur donne du bétail au preneur, mais partage avec lui le profit et la perte : ainsi il retire son capital plus la moitié du croît, et le preneur qui garde, soigne, nourrit les bêtes, n’a que l’autre moitié.

Il fallait donc en passer par la volonté de ces usuriers ou demi-usuriers ruraux, qui, après tout, rendent encore des services à leurs… victimes : car on ne pouvait donner en gage ni les récoltes engrangées, ni les animaux à l’étable, l’article 2076 du Code civil ne permettant la constitution du gage mobilier qu’avec déplacement de l’objet. Donc, point de crédit réel mobilier[1]. Le cultivateur avait-il du moins la ressource du crédit personnel, pouvait-il trouver du crédit sur sa seule signature ? Ici encore, d’autres difficultés surgissaient : privilège du bailleur vis-à-vis du fermier, juridiction commerciale fermée aux créanciers obligés de subir les longues et coûteuses formalités des tribunaux civils, papier du cultivateur repoussé par la Banque de France.

Utile, nécessaire, difficile à organiser, le crédit rural offre aussi ses dangers, dangers tels que certains esprits timorés ont conclu contre lui, parce qu’il conduit souvent à la ruine le cultivateur en le surchargeant de dettes qu’il ne peut amortir avec les revenus de sa terre ; c’est sans doute en ce sens qu’on a affirmé que le crédit soutient l’agriculteur comme la corde soutient le pendu. Là comme ailleurs, tout dépend de l’usage qu’on en fait, et il est certain que beaucoup de propriétaires animés de

  1. On dit que le crédit est personnel lorsqu’il a pour seule base la confiance qu’inspire la personne de l’emprunteur ; il est réel lorsqu’il a pour garantie les biens du débiteur. Ce crédit réel est mobilier ou hypothécaire, suivant que les biens donnés en garantie sont meubles ou immeubles. En réalité, le crédit est l’échange d’une valeur présente avec une autre dans l’avenir.