Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Soliman de Mairet, 1630, dans la Mort d’Osman, 1656, de Tristan l’Hermite, ou même dans le Bajazet de Racine. J’aimerais presque autant que l’on essayât de démêler et de reconnaître une « influence polonaise » dans le Wenceslas de Rotrou. En réalité, le Bajazet de Racine, — que je ne mets point du tout, avec des juges trop difficiles, au « second rang » de ses chefs-d’œuvre, — n’est pas un « sujet turc, » dont l’auteur se serait proposé de peindre des mœurs orientales, comme orientales, pour l’originalité de leur couleur, et à cause qu’orientales : c’est un drame de passion dont la scène est en Turquie. Or, il ne faut pas oublier qu’à l’époque où Racine écrit Bajazet, 1675, il y a plus de cent cinquante ans que la Turquie, étant entrée dans le jeu de la politique européenne, n’est presque plus la Turquie, ni surtout l’Orient, — et l’exotisme. Elle est la Turquie comme la Pologne est la Pologne, une pièce du système occidental, un pion de l’échiquier diplomatique. Ou encore, elle est la Turquie comme la Perse du Grand Cyrus était la Perse, une Perse vague et classique, dont le nom n’évoquait dans les imaginations rien de très différent de ceux de Rome ou de la Grèce ; — et c’était toujours l’antiquité. Nous avons d’ailleurs un roman turc de Mlle de Scudéry : Ibrahim ou l’illustre Bassa ; et on sait qu’avant que Racine en tirât son Bajazet, la tragique aventure de harem qui en fait le sujet, parfaitement authentique, avait été contée par Segrais, dans les Divertissemens de la Princesse Aurélie, sous le titre à coup sûr médiocrement oriental de Floridon. On discute, et on discutera longtemps encore si la tragédie de Racine doit quelque chose à la « nouvelle » de Segrais ; mais ceci ne nous regarde point.

A vrai dire, c’est de la publication des Voyages de Tavernier, 1676-1677, de Chardin, 1686, et de Bernier, 1699, mais surtout, c’est de l’apparition des Mille et une Nuits, traduites par Antoine Galland, 1704, et des Mille et un Jours, 1707, traduits par Pétis de la Croix, et retouchés par Lesage, que datent, dans l’histoire de la littérature française, les commencemens de l’« influence orientale ». « Pendant dix ans, nous dit à ce propos M. Pierre Martino, le public fut assiégé et entouré de ces Contes, et il vécut au milieu de toutes les créations fantaisistes de cette littérature orientale. En une fois, il réparait la longue ignorance où il avait jusque-là consenti à rester, et quand les traductions furent achevées, les lecteurs ne se sentirent point harassés : leur bonne volonté restant entière, ils ne goûtèrent pas le charme exquis de la mille et unième nuit : elle est la dernière ! Tout de suite ils voulurent entreprendre la mille et deuxième, et passer de