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oriental, ce sont les traits que nous disons. L’Orient est le pays du mystère, du luxe, et spécialement de la licence. « Le conte que je vous envoie, écrivait l’abbé de Voisenon, dans le Discours préliminaire de son Sultan Misapouf, est si libre et si plein de choses qui toutes ont rapport aux idées les moins honnêtes, que je crois qu’il sera difficile de rien dire de nouveau dans ce genre. Du moins, je l’espère. J’ai cependant évité tous les mots qui pourraient blesser les oreilles modestes ; tout est voilé, mais la gaze est si légère que les plus faibles vues ne perdront rien du tableau. » J’emprunte la citation à M. Pierre Martino, car je dois avouer que je n’ai jamais lu le Sultan Misapouf. Mais je connais, hélas ! dans le même genre, les Bijoux indiscrets, de « notre grand Diderot ! » Le premier effet de l’influence orientale ne semble avoir été que de favoriser, dans une littérature déjà plus que galante, — rappelons-nous l’Histoire amoureuse des Gaules, — d’encourager, et comme de légitimer la verve licencieuse de nos conteurs, en leur faisant accroire, et à leur public, qu’il existait des contrées où les choses se passaient « comme cela ! »

Une telle conception de l’Orient « appelait tout naturellement, dit avec raison M. Pierre Martino, et même provoquait une certaine forme de satire. Il suffisait pour cela de lire les récits de voyages, avec l’intention de comparer les mœurs asiatiques à celles de la France ; » et ici encore l’exemple en a été donné et le modèle fixé par les Lettres Persanes. Sous le déguisement des mœurs orientales, la satire a quelque chose de plus piquant ; et, — pourquoi cela ? je ne saurais le dire, — mais il est certain qu’un pouvoir ombrageux permettra toujours plus de choses aux Siamois de Dufresny ou aux Persans de Montesquieu qu’il n’en passerait à un satirique « né Français et chrétien. » C’est ce qui contribua si fort au succès des Lettres Persanes. « Les Lettres Persanes, écrit à ce propos Montesquieu lui-même, eurent d’abord un débit si prodigieux que les libraires mirent tout en usage pour en avoir des suites. Ils allaient tirer par la manche tous ceux qu’ils rencontraient : « Monsieur, disaient-ils, faites-moi des Lettres Persanes. » C’est ainsi qu’on fait les honneurs de soi-même… Sur quoi M. Martino ne peut s’empêcher d’observer, avec un peu d’étonnement, que les auteurs ne se montrèrent pas très pressés de répondre aux sollicitations des libraires, puisque enfin la première imitation que l’on connaisse des Lettres Persanes, étant de 1731, se lit donc attendre dix ans ! Nous ne continuerons pas moins d’en croire « le Président » sur sa parole. M. Martino rectifie également une assertion de Grimm, disant, dans sa Correspondance, que les Lettres Persanes ont suscité