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III

Une autre théorie, dont on ne saurait trop dire, après cent ans d’usage et d’abus, si elle appartient plutôt à la politique ou plutôt à l’histoire, a reçu de M. Kurth une sérieuse atteinte : c’est la théorie des races. L’œuvre d’Augustin Thierry en était tout entière pénétrée, et non point seulement ses Récits des temps mérovingiens ou son Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, mais encore son Essai sur l’histoire de la formation et des progrès du Tiers-Etat. « Que trouvons-nous dans ce livre, disait naguère M. Ferdinand Brunetière, si ce n’est l’histoire de la société gallo-romaine défendant ses arts et ses mœurs contre ses conquérans germains, leur disputant, leur reprenant l’un après l’autre les biens qu’ils lui avaient ravis, et dans la première ardeur d’une grande révolution, revendiquant, pour s’en armer à son tour contre eux, cette diversité d’origine dont on avait fait pendant douze cents ans le titre, la justification et l’instrument de sa servitude[1]. » Mais Augustin Thierry tout le premier, — M. Brunetière s’empressait de l’ajouter à sa décharge, — avait senti que, dès le VIe siècle, le caractère original de la période mérovingienne consistait dans « un antagonisme de races, non plus complet, saillant et heurté, mais adouci déjà par une foule d’imitations réciproques, nées de l’habitation sur le même sol ; » et c’est ainsi qu’il semblait, d’un geste timide mais précis, inviter des successeurs moins systématiques, ou mieux défendus contre ce qu’il appelle lui-même la « passion politique, » à étudier plus à fond comment, sous les Mérovingiens mêmes, l’influence de la race avait été contre-balancée par certains faits et par certaines idées.

Dès 1872, à la suite de quelques recherches sommaires sur notre histoire mérovingienne, M. Godefroid Kurth rédigeait la proposition suivante, qu’il s’offrait à soutenir de son mieux devant un jury d’examen : « La conquête de la Gaule par les Francs n’a pas entraîné, du moins dans les provinces neustriennes, l’occupation du sol par l’aristocratie franque[2]. » Les nombreux travaux de détail auxquels plus tard il s’est consacré

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1895, p. 474.
  2. Kurth, Caton l’Ancien, étude biographique, p. 195 (Liège, Juhr-Hanne, 1872).