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précisent et justifient cette proposition. En Auvergne, par exemple, M. Kurth étudie les 111 noms d’habitans que les textes nous livrent pour une certaine période ; il en conclut, laborieusement, que la conquête franque n’a pas introduit dans ce pays un contingent appréciable de Barbares[1]. Il relève, ensuite, les noms des comtes et des ducs qui administraient l’Auvergne au VIe siècle, et cette liste lui donne la preuve qu’à part deux ans d’état de siège, l’Auvergne, pendant plus de cent ans, fut gouvernée par des indigènes gallo-romains[2]. Du Plateau central, il émigre en Touraine : il enregistre, là encore, tous les noms de comtes et tous les noms de ducs qui, de l’an 500 à l’an 600, présidèrent aux destinées de ce pays ; il demande à ces fonctionnaires leur filiation, leurs antécédens, et cette enquête l’amène à conclure qu’à l’exception d’un seul, fils d’un esclave gallo-romain, ils furent probablement tous recrutés dans la bonne société indigène par la condescendance courtoise du conquérant germanique[3]. Alors survient sous la plume de M. Kurth, dans une étude d’ensemble sur la nationalité des comtes francs au VIe siècle, cette conclusion plus générale : « Dès le premier jour, le gouvernement franc s’est confié à ces peuples qu’il venait de mettre sous son autorité, et les a appelés au partage de ses plus hautes attributions politiques[4]. » Si d’ailleurs, comme il l’établit dans un travail très fouillé qui s’intitule La France et les Francs dans la langue politique du moyen âge, la différence des noms est un indice tout à fait insuffisant pour distinguer le barbare franc et l’indigène gallo-romain, et s’il apparaît au contraire qu’entre sujets des rois mérovingiens, les noms germaniques et les noms latins s’échangeaient avec une extrême facilité, c’est la preuve, d’après M. Kurth[5], que la fusion des deux races fut complète et intime.

  1. Kurth, Les nationalités en Auvergne au VIe siècle (Revue d’Auvergne, novembre-décembre 1900).
  2. Kurth, Les ducs et les comtes d’Auvergne au VIe siècle (Revue d’Auvergne septembre-octobre 1900).
  3. Kurth, Les comtes et les ducs de Tours au VIe siècle (Bulletin de l’Académie royale de Belgique, décembre 1900).
  4. Kurth, De la nationalité des comtes Francs au VIe siècle (Mélanges Paul Fabre, Paris, Picard, 1902).
  5. Kurth, Revue des Questions historiques, LVII, 1895, p. 337-399. — « S’il n’est pas permis de prendre pour Francs, jusqu’à preuve du contraire, les personnages des temps mérovingiens qui portent des noms barbares, et pour Gaulois ceux qui portent des noms romains, l’histoire de ces temps est impossible. » La phrase est d’Augustin Thierry (Récits des temps mérovingiens, II, p. 63, n. 2), et tout l’effort de M. Kurth tend au contraire à démontrer que cette simplicité d’interprétation n’est pas permise ; que la réalité est beaucoup plus confuse ; et que, dans cette confusion même, l’histoire de ces temps prend un aspect nouveau.