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m’apparaissait à la fin du second acte de ce drame, me suffisait le mieux du monde, sans que j’eusse besoin de le confronter avec l’honnête négociant zurichois qui lui a servi de modèle. Et quant à la femme de Richard Wagner, je suis prêt à admettre qu’elle aurait été plus sage de modérer l’expression de sa jalousie : mais l’excès même de cette jalousie prouve assez combien elle aimait son mari, et que, parmi les quatre personnages du triste roman de Zurich, aucun n’a souffert plus qu’elle, ni n’aurait plus de droits à notre compassion.

Aussi bien son mari, jusque dans les momens les plus aigus de sa mauvaise humeur contre elle, avait-il l’âme trop haute pour ne pas se sentir obligé de la plaindre. De Genève, le 20 août 1858, quelques semaines après l’avoir quittée, il écrivait d’elle à l’une de ses sœurs : « Les nombreuses épreuves qu’elle a traversées avec moi, et que mon génie intérieur m’a permis, à moi, de franchir assez légèrement, m’inclinent à avoir des égards pour elle ; je voudrais éviter le plus possible de lui causer de la peine, car, en fin de compte, je continue à la plaindre de tout mon cœur. » Un peu plus tard, le 28 janvier 1859, à une autre de ses sœurs il écrivait, de Venise ; « La véritable et unique source des soucis sans nom et des ébranlemens qui se sont produits pour moi, l’année passée, a consisté dans le misérable état de santé de ma femme. Si passionnée et irréfléchie qu’ait été sa conduite dans les circonstances les plus délicates, je ne puis vraiment pas lui en avoir le moindre ressentiment. Chacun souffre à sa manière ; et elle souffre… à la sienne ; mais elle souffre, et a souffert, plus que je ne saurais dire. Imagine-toi que son cœur bat, continuellement, avec autant de violence que le cœur d’une personne ordinaire pendant les quelques secondes d’une angoisse mortelle ; et ajoute à cela un an d’insomnie à peu près complète ! Mais maintenant que j’ai regagné un peu de repos et d’équilibre moral, je suis bien résolu à la traiter toujours avec la douceur et la sollicitude qui lui sont indispensables. Sa vie est si entièrement placée entre mes mains que, alors qu’un geste de moi suffirait pour la tuer, je puis encore étendre ces mains pour la secourir. » Des passages semblables se retrouvent dans toutes les lettres écrites par Wagner à ses plus intimes confidens, après l’aventure de 1858, nous montrant chez lui, sous une pitié évidemment bien sincère, je ne dirai pas, précisément, du remords, mais un profond regret de la fatalité qui le condamne à torturer un pauvre cœur tout rempli de lui.

C’est qu’il avait beaucoup aimé sa « Minna, » avant de se fatiguer