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d’elle, et pendant de très longues années, et d’un jeune et ardent amour où il s’était donné tout entier. Il l’avait épousée à Magdebourg, en 1836 ; à Riga, à Paris, à Dresde, il l’avait eue pour compagne et pour consolatrice dans ces dures « épreuves » dont il parlait à sa sœur, et dont il lui avait naguère parlé, à elle-même, dans une lettre que je ne puis me défendre de citer, — une lettre qui m’émeut plus profondément, je dois le reconnaître, que toute sa correspondance philosophico-amoureuse avec Mme Wesendonck. Le 28 juillet 1842, le jeune musicien, qui était venu à Dresde avec l’espoir d’y faire jouer son Rienzi, recevait une lettre de sa femme lui disant que, si son séjour et ses démarches devaient lui coûter trop d’argent, elle était prête, pour lui épargner une dépense supplémentaire, à attendre quelque temps avant de venir le rejoindre. Et c’est à cette offre que Wagner répondait ainsi :


Ma bien chère femme,


Je m’occupais, hier, de mon installation, lorsque, dans mon nouveau logement, j’ai reçu ta lettre. Je ne puis te dire combien j’ai été navré de voir que tu proposais de me laisser seul quelque temps encore ! Ma Minna aimée, il n’est plus possible que nous restions jamais séparés l’un de l’autre : je le sens de nouveau, à présent, du plus profond de mon cœur. Ce que tu es pour moi, rien au monde ne pourrait m’en tenir lieu. Quand je n’ai pas d’occupations, je me désole d’autant plus d’être sans toi ; et quand je me suis fatigué toute la journée, et que vient le soir, et que je ne te trouve pas à m’attendre chez moi, mon chez-moi, qui d’ordinaire m’est si bienfaisant, me devient insupportable. Et puis, il y a un endroit de ta lettre que je n’arrive pas à comprendre : tu me parles d’une « nécessité » qui, peut-être, nous forcerait à rester séparés quelque temps encore ! Où donc est cette nécessité ? Lorsque jadis, pour essayer d’exécuter mes plans et mes espoirs présomptueux, que d’ailleurs tu ne partageais point, j’ai entrepris le voyage de Russie, dans des conditions qui auraient découragé l’homme même le plus intrépide ; lorsque, parmi des dangers de toute sorte, je me suis embarqué à Pillau, pour une expédition terriblement incertaine, qui devait me conduire à un but plus incertain encore : est-ce que, dans ces momens-là, tu m’as parlé d’une « nécessité » de te séparer de moi ? Alors, par Dieu, si tu l’avais fait j’aurais dû te donner raison : mais l’idée ne t’en est pas venue ! Lorsque la tempête et le péril étaient au comble, lorsque, pour récompense des peines que tu avais subies avec moi, tu voyais devant toi une mort effroyable[1], tu m’as simplement prié de te tenir bien embrassée, afin que, jusque dans la mort, nous ne fussions pas séparés.

  1. Pendant une très dangereuse traversée que Wagner et sa femme avaient faite, sur un bateau voilier, dans l’automne de 1839, pour se rendre de Russie en Angleterre.