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au-dessus du reste des choses, et possédé d’un « génie » qui, d’année en année, avec un caractère de fatalité mystérieuse et irrésistible, lui dictait les poèmes ou la musique qu’il nous a laissés.

Il était né avec la certitude d’avoir une « mission » à remplir ; et, pour sensible qu’il fût à la souffrance, cette certitude lui a permis de supporter « légèrement, » ou tout au moins sans y succomber, les fatigues, les privations, les incroyables monceaux d’injures et de railleries dont on l’a accablé jusqu’au dernier jour ; et jamais il ne lui a été possible de s’intéresser réellement à rien d’autre qu’au travail qui devait le conduire jusqu’au but rêvé. Dès sa jeunesse, il ne parle à sa mère et à ses sœurs que de ses projets : avec une naïveté charmante, il ne trouve pas de meilleur moyen de leur témoigner la très vive affection qu’il éprouve pour elles. « Mon Dieu, — écrit-il en 1832 à sa sœur Ottilie, après avoir déjà rempli quatre pages de ses confidences sur les œuvres qu’il a en train, — voici que je recommence à t’entretenir de ma musique ; pour interrompre la vieille chanson, il va falloir que je termine ma lettre ! » De Wurzbourg, l’année suivante, il envoie à sa chère sœur Rosalie une analyse enthousiaste de l’opéra qu’il s’est mis à écrire ; et puis, se ravisant tout à coup : « J’aurais encore tant d’autres choses à te dire ! Mais je suis toujours dans un tel étal d’excitation ! Cette nuit, de nouveau, je n’ai pas dormi ; hélas ! il y a longtemps que j’ai dû renoncer au repos des nuits : du soir au matin, dans mon lit, je pense à vous, et aussi, dans un mélange indissoluble, à mon opéra ! » De Meudon, en 1841, pour la fête de sa mère, il écrit à celle-ci une admirable lettre, où il lui promet de devenir un grand homme, et de révéler au monde une beauté nouvelle. Déjà le théâtre de Dresde lui fait espérer la représentation de son Rienzi : « Et cet espoir, à lui seul, ma chère et bonne maman, est pour moi un bonheur immense, extraordinaire. On comprendra ce que j’entends par là, si l’on songe, d’une part, que, comme compositeur, je suis encore sans aucune renommée, et si, d’autre part, on songe de quel genre nouveau est mon opéra. Et Winkler m’a assuré que l’on emploierait à cet opéra tout le luxe possible ! Pour peu que l’on réponde à mes exigences, on aura à faire des dépenses énormes… En un mot, que Dieu me protège dans cette affaire, et sûrement elle sera le tournant heureux de ma vie… Et je vous reverrai tous : il n’y a que la bonne Rosalie que je ne retrouverai plus ! Ah ! toujours cela avait été, pour moi, une si belle pensée, de l’avoir pour témoin de l’heureuse issue de mes efforts passionnés, elle qui avait connu de si près les crises douloureuses de ma- formation ! Mon Dieu, garde du moins