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opéras, ce à quoi, d’après vous, je m’entends si bien ! L’idée ne vous vient pas de vous représenter ce que doit être mon état d’esprit, lorsque j’ai, depuis deux ans déjà, une œuvre achevée, mon Lohengrin, et que je ne parviens pas à la faire jouer, pas même à Dresde, où mes œuvres précédentes ont, cependant, fait honneur au Théâtre Royal !

Vous vous étonnez que je ne me remette pas à écrire des opéras, en laissant les choses aller leur train, autour de moi ! Mais, ce que ne veulent pas faire les autres artistes, je me sens tenu, moi, de le faire : c’est-à-dire de réfléchir à la cause et à l’enchaînement des circonstances qui, de nos jours, condamnent fatalement à l’insuccès toute tentative vraiment noble et inspirée, que ce soit dans le domaine de l’art ou dans tout autre domaine. Et réfléchir à cela signifie s’élever contre tout ce système actuel ; et plus forte est mon aspiration artistique, plus profond et irrésistible devient mon sentiment d’indignation contre tout ce qu’il y a de vil, de mesquin, d’éhonté, et de pitoyable dans l’ensemble de notre vie sociale d’aujourd’hui. Et j’estime qu’il m’importe désormais, beaucoup plus que d’écrire opéra sur opéra, de m’exprimer publiquement sur notre situation artistique. Aussi est-ce, là ce que je fais et continuerai de faire, en m’adressant à ceux des artistes qui daignent penser : car tout homme qui est artiste, et qui, en même temps, ne refuse pas de penser, tôt ou tard cet homme-là finira par me comprendre. Quant à nos industriels de la littérature, etc., non seulement il m’est indifférent qu’ils me combattent et me couvrent d’injures : cela est encore indispensable, car c’est surtout contre eux que j’ai dû me tourner !…

… Et maintenant, combien se trouvera-t-il d’entre vous, mes parens, pour m’approuver et être d’accord avec moi ? En vérité, je n’espère que bien peu votre appui. Mais il y a, au fond de mon être, une poussée si forte, — et si impossible à contenir comme à faire plier, — que je ne serais vraiment malheureux que le jour où des motifs extérieurs viendraient m’empêcher de lui donner libre cours ; et, au contraire, pourvu seulement que je puisse lui donner ce cours, je sens que je serai toujours heureux et gai, fût-ce au milieu des plus diverses privations et persécutions.


Les lettres qui suivent, dans le recueil, semblent bien indiquer que Wagner ne s’était pas trompé, en pressentant que sa famille, d’abord, se refuserait à l’approuver dans cette nouvelle manifestation de son apostolat. Mais d’autant plus grande fut la joie du solitaire, lorsque, en juin 1850, une de ses jeunes nièces, Franciska Wagner, parmi le silence hostile de ses parens, de ses tantes, et de sa sœur aînée, s’enhardit à lui déclarer qu’elle l’admirait et l’aimait de toute son âme ! La lettre magnifique qu’il lui écrivit en réponse, magnifique de tendresse et d’enthousiasme brûlant, est encore de celles que j’aurais aimé pouvoir traduire en entier : il y en a ainsi une vingtaine, sur les cent vingt du volume, qui sont, à coup sûr, les plus précieux documens biographiques qu’il nous ait laissés. Pour remercier sa