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continue. Dans le Nord, la dévote Belgique, la région des Flandres, récemment annexée, s’est soulevée en 1798 contre le régime impie. Et même la masse des départemens d’esprit moyen, les contrées dociles par situation et par tempérament, les molles rives de la Loire et du Cher, les plateaux du centre, les coteaux bourguignons, les vallonnemens de l’Ile-de-France, les pays découverts de Picardie et de Champagne, les régions apathiques, les grandes plaines d’indifférence s’émeuvent.

Pour citer des exemples épars, le commissaire du Loiret autant que celui de l’Aisne, ceux de l’Oise et de l’Indre, ceux des Landes et de la Corrèze, écrivent en termes à peu près identiques que le paysan à tête dure tient à ses pratiques et refuse de se plier aux rites nouveaux. Lorsque ces rites s’accomplissent, c’est par pure contrainte : selon l’aveu cynique du commissaire près le département du Nord, le peuple fait marcher le système décadaire « comme la chiourme fait voguer une galère[1]. » La résistance s’étend jusqu’aux départemens notés pour leur esprit civique, tels que l’Ain et l’Isère ; chez les habitans de l’Ain, les « moyens violens employés pour leur faire contracter de nouvelles habitudes n’ont servi qu’à leur rendre plus chères les anciennes. » L’Est proprement dit, la ci-devant Lorraine, les Vosges, l’Alsace restent d’esprit ardemment patriote, militaire et républicain. Ces départemens voisins des frontières demeurent en pleine crise d’héroïsme. Avec un admirable entrain, ils paient l’impôt, font partir leurs conscrits, fournissent des volontaires, fournissent à d’accablantes réquisitions en nature. « L’ombre au tableau, — d’après un administrateur, — c’est le fanatisme, » c’est-à-dire, en style de l’époque, la persévérance du sentiment religieux. Ces populations qui continuent de se dévouer à la défense française, désobéissent néanmoins aux prescriptions décadaires, où elles voient intolérance et tyrannie, et regrettent leurs prêtres[2].

  1. Tous les documens que nous citons sans indiquer de référence spéciale sont tirés des Archives nationales, série FIC, III. Cette série contient notamment les rapports des dernières administrations du Directoire et des premiers préfets.
  2. Dès 1796, le général Clarke écrivait dans une note destinée à Bonaparte, commandant de l’armée d’Italie : « Nous avons manqué notre révolution de religion. On est redevenu catholique romain en France, et nous en sommes peut-être au point d’avoir besoin du Pape lui-même, pour faire seconder chez nous la Révolution par les prêtres, et par conséquent par les campagnes, qu’ils sont parvenus à gouverner de nouveau. Si on eût pu anéantir le Pape il y a trois ans, c’eût été régénérer l’Europe... Il faut trente ans de liberté de la presse en Italie et en France pour amener ce moment et abattre la puissance spirituelle de l’évêque de Rome... » Du Teil, Rome, Naples et le Directoire, p. 406-407.