Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/516

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y compris celle que Bonaparte avait opérée, n’avaient été que trêves momentanées ; le Concordat serait le traité de paix définitif avec l’Ouest.

Bonaparte sentait donc la nécessité de rétablir la religion pour répondre à l’indomptable volonté de certaines populations françaises, pour répondre à l’aspiration de la grande majorité des Français. Et dédaigneux des expédiens bâtards, allant droit à la solution franche, il voulait la religion telle que le peuple la souhaitait, c’est-à-dire publique, solennelle, intégrale.

A la rétablir, il verrait un hommage rendu par lui à la souveraineté nationale, dont il aimait à se dire et à se sentir le délégué. Contre les révolutionnaires, il se replacerait dans la vérité révolutionnaire, puisque l’un des dogmes de 89 avait été d’ériger en loi pour tous le vœu du plus grand nombre : « Ma politique, disait-il, est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être. C’est là, je crois, la manière de reconnaître la souveraineté du peuple[1]. » Quoi de plus démocratique en effet que de faire prévaloir contre une minorité de philosophes et de lettrés le suffrage de la multitude plébéienne, rurale, et que de consacrer sur l’incrédulité de certaines classes urbaines la grande victoire des campagnes ! Seulement, cette religion dont l’incompressible vitalité lui était démontrée, Bonaparte n’admettait à aucun prix qu’elle reprît forme régulière sans lui, indépendamment de lui ; il voulut s’adjoindre cette force. C’est pourquoi, malgré ses ministres, malgré son Conseil d’Etat, malgré l’Institut, malgré les assemblées, malgré les généraux et leur incrédulité fanfaronne, malgré la plupart des administrateurs, seul avec la masse obscure, il prit l’inébranlable résolution de réincorporer le culte à l’Etat et de replacer Dieu dans le gouvernement.


III

Pouvait-il résoudre différemment le problème religieux ? D’après quelques-uns de ses conseillers, d’après certains esprits assez libéraux et tolérans, il suffisait d’émanciper réellement les cultes, de les replacer sous des lois justes, de se désintéresser d’eux ensuite et de les laisser s’organiser à leur gré, quitte à

  1. Rœderer, III, 334.