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C’est à ces points qu’après huit mois de lutte entre les scrupules légitimes de Rome et la diplomatie tour à tour artificieuse et violente de Bonaparte, l’accord se fixerait finalement.

La haute pensée dont s’inspirait le Consul se doublait d’une arrière-pensée, celle-ci erronée et chimérique. Le paradoxe du Concordat, ce fut l’idée conçue par Bonaparte d’employer le Pape à refaire une Église très peu papiste, une Église non seulement respectueuse de l’ordre temporel, mais gallicane, qui dépendrait de l’Etat autant que possible et qui dépendrait de Rome aussi peu que possible, sans aller jusqu’au schisme.

Bonaparte admettait pour une fois et requérait l’intervention du Saint-Siège ; il voulait qu’elle s’exerçât souverainement, parce qu’impartiale et simplement chrétienne, elle s’exercerait à l’encontre des évêques royalistes, procurerait la pacification et la soumission des pasteurs du second ordre. A cet effet, il jugeait l’autorité pontificale bonne, utile, indispensable. Il s’estimait heureux qu’il existât en matière de discipline catholique une autorité suprême, par le moyen de laquelle il obtiendrait l’accommodement du clergé aux institutions nouvelles ; susciter cette autorité d’accord avec la sienne, c’était pour lui le vrai moyen de concilier la loi religieuse et la loi civile, le moyen à la fois canonique et légal, — le mot est de Portalis dans son célèbre Exposé des motifs de la loi concordataire. « En général, disait Portalis en faisant allusion à l’intervention romaine, il est toujours heureux d’avoir un moyen canonique et légal d’apaiser les troubles religieux[1]. » Seulement, le grand résultat obtenu, Bonaparte entendait bien se passer du Pape toutes les fois qu’il le pourrait ; son espoir était que, sous la pression d’un gouvernement énergique, les liens entre l’Église de France et Rome se distendraient aisément. L’avenir devait démontrer la vanité de cette conception. En ce point, le Concordat tourna contre les vues de son auteur ; il fortifia finalement l’autorité pontificale en France, car il créa en sa faveur un grand précédent en faisant briser par la main du Pape tout l’ancien épiscopat français et en provoquant ce coup d’Etat ultramontain.

Au premier bruit de la négociation avec Rome, les assemblées légiférantes, les assemblées philosophes s’étaient émues, tandis que de leur côté les royalistes ne supportaient pas l’idée

  1. De Clercq, Traités de la France, I, 514.