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d’un Pape traitant avec la République et criaient à l’indignité[1]. On sait que, pour avoir raison de l’opposition parlementaire, Bonaparte devait faire épurer le Tribunat et le Corps législatif par vote du Sénat. Dès le premier moment, son jeu vis-à-vis des assemblées serait d’opposer le vœu de la nation à l’opinion de ses pseudo-représentans. Un jour, dit-on, il parlerait de faire voter les citoyens sur la question de savoir s’ils préféraient payer pour l’entretien du clergé ou pour l’entretien « d’assemblées délibérantes qui ne servaient à rien, » et il proposerait cet original referendum[2]. En février 1801, convoquant un groupe de tribuns, il s’expliqua rudement avec eux. Le texte de sa harangue n’a pas été publié jusqu’ici ; elle est significative de ses raisons[3]. Tout ce qu’il y avait dans sa pensée de profond et de rationnel, de grand et d’abusif, de libérateur et de despotique, il le fit voir, avec un bon sens véhément et une arrogance superbe :

« Les prêtres ! Un gouvernement peut-il espérer conserver le peuple autour de lui, quand en même temps il poursuit la majorité de ce même peuple dans ses opinions les plus chères ? On ne peut se le dissimuler, la majorité du peuple français tient à la religion catholique. Veut-on que je contrarie cette majorité du peuple ? Ce peuple est libre et souverain ; on l’intitule tel depuis dix ans ; il est temps qu’il soit tel en effet. Ne disait-on pas jusqu’ici : Vive la liberté ! Vive l’humanité ! et le peuple libre ne pouvait pas aller à la messe, et le gouvernement humain arrachait du sein de leurs foyers des vieillards de quatre-vingts ans que l’exil dévorait bientôt. Il faut rendre aux mots leur valeur ; il faut que les partisans de la souveraineté du peuple et de l’humanité ne me reprochent pas de respecter l’opinion publique et de rappeler d’exil des victimes qu’elle rappelle. D’ailleurs, suis-je un cagot ? Veut-on me faire passer pour un fanatique qui rappelle son église ? Je veux que les religions soient tolérées et que celle de la majorité de la nation ne soit pas exceptée de ce principe. »

  1. Mme d’Anjou écrivait à d’Avaray le 1er décembre 1800 : « Si cela est vrai, je deviens protestante, et si le Pape s’avise d’un pareil coup, lorsque le Roi sera sur son trône, il fera bien de le lui faire payer et de faire des évêques sans bulles ni annates... » Documens inédits.
  2. Boulay de la Meurthe, t. IV supplémentaire, 428.
  3. Ce texte fut recueilli tout vif par l’un des assistans, Lagarde, secrétaire général des Consuls. Nous en devons la communication à l’obligeance de ses descendans.