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Il insista ensuite sur le péril que ferait courir à l’Etat une Église dirigée par des évêques contre-révolutionnaires[1]. Serrant de près le grand objet de gouvernement qu’il avait en vue, il dit : « Prétend-on que je gouverne avec succès un peuple dont les consciences seraient soumises à la direction de chefs ecclésiastiques ennemis de l’ordre actuel ? Telle est pourtant ma position aujourd’hui. Il faut que j’arrache les catholiques de France à des évêques qui, de Vienne, de Londres, de Madrid, contrarient le gouvernement républicain jusque dans l’intérieur des familles. Est-ce avec des baïonnettes que j’extirperai cet ennemi ? Veut-on que je recrée la Vendée ? Qu’on sente maintenant la faute qu’on a commise en détruisant le système de la Constituante, qui aux évêques émigrés avait substitué des chefs dévoués au régime nouveau. Il me faut le Pape maintenant pour réparer cette destruction impolitique que Robespierre lui-même jugeait telle, quand le grand instigateur de la mesure, Chaumette, fut traîné à l’échafaud. Jamais le Pape ne pourra me rendre un plus grand service ; sans effusion de sang, sans secousse, lui seul peut réorganiser les catholiques de France sous l’obéissance républicaine. Je le lui ai demandé. Le catholicisme une fois soumis d’affection, je pourrai supprimer l’intermédiaire étranger, conciliateur entre la République et les ecclésiastiques. La direction de ces derniers restera entière alors entre les mains du gouvernement. Telles sont mes vues. Ne peut-on pas s’en reposer sur moi ! Quel intérêt si grand peut agiter ces orateurs, à côté de celui qui domine mes actions et répond de moi à mon pays ! Certes, leur nom ne sera pas attaché à ce siècle ; ce sera le mien. C’est à moi à n’attacher ce nom à rien d’indigne. Ce souci me regarde. »


ALBERT VANDAL.

  1. L’écrivain Fiévée, dans un passage très curieux de ses Lettres et rapports à Bonaparte, fait allusion à un autre péril que le premier Consul aurait entrevu à l’horizon et dont il lui aurait parlé, celui d’un clergé se faisant à la longue trop démocrate ; il aurait aperçu « cette grande vérité que les prêtres catholiques seraient nécessairement et franchement démocrates, s’ils étaient abandonnés à eux-mêmes, ainsi qu’on peut en avoir la preuve en Irlande et dans les États-Unis d’Amérique. » Correspondance de Fiévée, I, 17. Il est vrai que Fiévée était grand ennemi de la démocratie et que Bonaparte employait volontiers vis-à-vis de chacun l’argument ad hominem.