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pour le paiement de la fresque des Sibylles, à Santa Maria della Croce, Raphaël faillit se brouiller avec Chigi qui la lui avait commandée ; l’on s’en remit à l’arbitrage de Michel-Ange : « Cette tête, dit Buonarotti, en montrant du doigt une des Sibylles, vaut à elle seule 100 écus, » — 2 700 francs. — « Et les autres ? reprit le caissier. — Les autres ne valent pas moins, » répondit Michel-Ange. Chigi s’exécuta de bonne grâce et fit compter 2 700 francs par chaque figure, — on sait qu’il y en a quatre, — mais il ajoutait : « Tâchez que Raphaël soit content, car, s’il se fait encore payer la draperie, nous allons être ruinés. »

De pareils Mécènes se rencontraient rarement : Raphaël, en 1516, c’est-à-dire en pleine renommée, demandait 5 000 francs d’un grand tableau, tel que le Couronnement de la Vierge ; et le duc de Ferrare, pour l’esquisse de son Saint Michel, lui envoyait, en 1518, 675 francs. Pour les tapisseries des Actes des apôtres, chaque carton lui fut payé 4 300 francs par Léon X ; l’ « entreprise » de la décoration du Vatican fut d’ailleurs le plus beau de ses profits. C’était un atelier organisé, où Jules Romain et Pellegrino de Modène faisaient les grands sujets, Jean d’Udine les stucs et grotesques, etc. ; jamais une vie d’homme, longue ou courte, n’eût suffi à couvrir de pareilles surfaces.

Michel-Ange aussi avait cinq aides à la Chapelle Sixtine ; il mit quatre ans à en peindre la voûte, qui lui fut payée 280 000 francs. Quant au Jugement dernier, il l’exécuta en cinq ans (mai 1536 à novembre 1541) et ne reçut d’autre allocation pour cette œuvre que son traitement ordinaire d’ « architecte en chef, sculpteur et peintre des palais apostoliques. » Bien que Michel-Ange ait souvent crié misère, on trouva chez lui à sa mort de 180 000 à 200 000 francs d’espèces ou de valeurs. Il possédait en outre des immeubles, énumérés dans une « Denunzia de boni, » sans parler de donations faites à son neveu Léonardo

Raphaël dut gagner davantage, si l’on en juge par le chiffre de sa succession ; mais ses biens fonciers se réduisaient à peu de chose : une vigne de 13 000 francs, un terrain dans la via Giulia, acheté à charge de bâtir moyennant une rente de 3 400 francs, et sa maison au Borgo Nuovo que Bramante lui avait construite et dans laquelle il mourut. La politesse romaine pouvait seule appeler « palais » cet édifice modeste en briques et mortier coulé, où le grand artiste avait entassé des tapisseries et des antiques