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qu’il n’eut jamais le temps de ranger. Il l’avait payé 4 29 000 francs ; au XVIIe siècle, Alexandre VII l’acheta 77 000 francs seulement et le démolit pour agrandir la place Saint-Pierre.

Sauf ces deux illustres exemples, l’Italie de la Renaissance lésinait avec les peintres et les sculpteurs. Ceux-ci s’épuisaient en sollicitations pour obtenir un acompte sur leurs tableaux et leurs statues, tandis que les largesses pleuvaient sur les poètes, les philologues, les humanistes. C’est le contraire dans notre société moderne. Le Corrège céda son Christ au jardin des Oliviers en paiement d’une dette de 110 francs et sa coupole de Parme ne lui rapporta pas plus, dit-on, que l’on ne donnait à Raphaël pour une seule figure de ses Stances. Annibal Carrache, pour une soma de grain et une de vin, c’est-à-dire pour une centaine de francs, vendit à de riches marchands, les Lachini, sa Résurrection de Jésus-Christ, maintenant au Louvre.

A défaut d’argent, le peintre du XVIe siècle acquit un rang social. Après que Maître Raphaël d’Urbin fut mort camérier pontifical et chevalier de l’Eperon d’Or, ses successeurs, au temps de Messire Georges Vasari, se purent qualifier « professeurs, » « chevaliers » ou « académiciens. » En Italie, du moins, car en France et en Espagne, jusqu’au premier tiers du XVIIe siècle, un roi ne pouvait mieux honorer son peintre ordinaire qu’en lui conférant titre de son « valet de chambre. » Quant aux simples « compagnons-peintres » qui travaillaient au Luxembourg en 1620, et parmi lesquels étaient Philippe de Champagne et Poussin, jeunes encore et inconnus, la reine Marie de Médicis se montrait généreuse à leur égard en leur allouant une gratification de 250 francs.

Cent ans avant, Albert Dürer faisait des portraits à la plume ou au fusain pour un cent d’huîtres, un chapelet de cèdre ou une branche de corail. Le tableau qui semble lui avoir rapporté le plus fut un Martyre de saint Bartholomé, commandé à Venise (1506) par des Allemands qui le payèrent 3 650 francs. Ce fut à son avis une mauvaise affaire ; il y employa plusieurs mois et « pendant le temps que j’ai mis à le peindre, j’aurais bien pu gagner 200 ducats, — 8 600 francs ; — car j’ai refusé beaucoup de commandes pour pouvoir m’en occuper exclusivement... Seulement j’ai fermé la bouche aux peintres qui disaient : C’est un habile graveur, mais il n’entend rien au maniement des couleurs. »