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de Melito avait dû, en effet, en entretenir ce ministre, au nom de Bonaparte, lui en laisser même une copie, en la lui présentant, avec des reproches, comme une preuve des sentimens hostiles qu’en dépit de la paix conclue entre la France et le Piémont, on nourrissait secrètement à la Cour de Turin contre le gouvernement de la République, sentimens dont il recueillait à toute heure maints témoignages et qui provoquaient ses incessantes plaintes. Ce fut, entons cas, une occasion pour Joseph de Maistre de revenir sur cette pénible affaire en écrivant à d’Avaray :


« Turin, 29 novembre 1797. — Je la connais enfin, monsieur le comte (et par quelle voie, grand Dieu !) cette belle et malheureuse lettre. Je crois que vous n’avez point de tort. Je l’ai dit, je l’ai écrit à tout le monde. Plus j’y ai réfléchi, et plus je me suis persuadé que vous n’aviez point confié votre lettre à un courrier d’Allemagne ; que vous l’aviez au contraire fait mettre à la poste dans un bureau de Suisse. Mais quelle main perfide l’a envoyée à Milan au lieu de la laisser faire sa route par Domo-Dossola sur les terres du Roi ? C’est ce que nous ignorerons toujours. Je viens de passer quatre ans en Suisse où j’étais chargé de la correspondance de la Cour ; j’ai écrit peut-être quatre cents lettres par la route que je vous avais indiquée. Aucune ne s’est fourvoyée. Je n’y comprends rien. Mais le mal est fait, et je crois, tout bien examiné, qu’il ne sera pas fort grand.

« En premier lieu, monsieur le comte, envisageant la chose par son côté le plus important, je ne crois pas que la publication d’un papier qui expose les vrais sentimens du Roi sur les affaires publiques, soit capable de nuire à ses intérêts. Je croirais bien plutôt à l’effet contraire. Quant à moi, les apparences ont d’abord été sévères et devaient l’être ; mais le cœur du Roi, mais celui de Clotilde de France[1] me rassurent beaucoup et m’empêchent de craindre ce qu’on appelle des malheurs. Jusqu’à présent j’ignore mon sort. Miot n’a fait aucune réquisition ; le ministre m’a écouté avec bonté. J’ai dit ce que je devais dire ; je n’ai point d’ordre encore ; peut être faudra-t-il voyager. Je suis prêt à tout, excepté à changer de principes. Les malheurs, les ennuis

  1. On sait que Charles-Emmanuel IV, n’étant encore que prince héréditaire, avait épousé Madame Clotilde, sœur de Louis XVI.