Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assurément pas à être dépassées en peu d’années, en vertu de la logique immanente aux procédés coercitifs mis en œuvre pour réaliser les premières.

Ainsi, livrée à une instabilité perpétuelle, la langue française ne tarderait guère à changer de figure ; à moins que le bon sens pratique de ses écrivains ne refusât d’accepter l’intervention de l’autorité officielle, en pareille matière. Il vaudrait certes mieux commencer par convaincre l’opinion publique, en montrant les avantages de ces réformes par quelque usage volontaire et préalable.

Or, c’est là ce que n’acceptent pas les promoteurs actuels de la prétendue simplification de l’orthographe. Ils voudraient devancer la discussion de leurs propositions par l’opinion publique, et leur acceptation par l’usage courant, et les imposer, en les rendant de suite obligatoires, appelant à leur secours l’intervention du bras séculier : ressource commune de tous les partis qui craignent de ne pas réussir à convaincre les autres de leurs propositions.

En effet, voici le raisonnement et le plan de conduite des réformistes officiels. La Commission arrête un certain système de reformes de l’orthographe. Le ministre l’adopte, et le présente au Conseil supérieur de l’instruction publique, constitué à l’état d’une sorte de concile dogmatique. Or, le Conseil, dans la courte durée d’une session de quelques jours, ne saurait évidemment entrer dans le détail indéfini des discussions verbales ; il approuvera donc, suppose-t-on, de confiance. Le ministre traduit aussitôt cette approbation par un arrêté dictatorial, imposant la nouvelle orthographe aux instituteurs primaires et à l’ensemble des professeurs de l’enseignement public placés sous ses ordres. Elle devient ainsi obligatoire, soit immédiatement, soit à court délai, pour les concours et examens.

Dès lors, les éditeurs de livres destinés à l’enseignement officiel seront forcés de se conformer à la nouvelle orthographe ; et les imprimeurs et auteurs subiront la même nécessité. Tous les ouvrages destinés à l’enseignement et, par une conséquence inévitable, tous les livres écrits en langue française y sont condamnés. La réforme se trouve donc accomplie par voie de coaction indirecte, sans que les personnes les plus autorisées, c’est-à-dire les auteurs, littérateurs et savans, aient été admis à la discuter, ou invités à l’accepter