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On voit alors qu’il a une philosophie et une philosophie systématique. Il est évolutionniste. Chose bien caractéristique, il n’est pas arrivé à cette doctrine par la réflexion méthodique et elle ne lui a pas été imposée de l’extérieur par un enseignement plus ou moins oppressif : ce fut tout de suite un évolutionniste d’instinct. Sa nature, rationnellement consciente du rôle de la matière et attirée cependant vers la région du pur esprit, n’a trouvé son équilibre que dans un système qui les reliait l’une à l’autre par une chaîne ininterrompue, qui faisait procéder l’une de l’autre, qui acheminait l’une vers l’autre. II. cherchait une théorie qui permît non pas d’expliquer une simple juxtaposition, mais de faire logiquement sortir l’esprit de la matière et de faire historiquement monter la matière vers l’esprit. Une chose cependant empêchait Fogazzaro de donner à l’évolutionnisme une adhésion complète : c’est que, profondément croyant, il craignait de reconnaître un antagonisme irréductible entre la foi dont il était sûr et la philosophie qu’il entrevoyait encore indistinctement. Cependant, son instinct ne cédait pas. Il percevait à la fois en lui et les luttes confuses de toutes les vies matérielles qui s’étaient acheminées jusqu’à sa nature d’homme, et le sentiment d’un germe de vie supérieure ; il était le résultat d’un progrès successif et l’origine d’une ascension nouvelle ; il sentait surtout, avec toute la vivacité d’une âme profondément attachée au bien, qu’il pouvait devenir, selon sa volonté, l’instrument plus ou moins actif du progrès, et qu’il dépendait de lui d’accélérer plus ou moins l’ascension. Un jour, un livre du professeur américain Joseph Le Conte vint lui apporter la conciliation que son esprit cherchait si ardemment. L’étincelle jaillit et de la lumière qu’elle produisit son âme tout entière fut éclairée. Voici en quels termes enthousiastes il nous raconte lui-même ce moment solennel :


Je me rappelle encore avec quelle émotion, et quelle surprise, tout jeune encore, j’ai senti pour la première fois se révéler brusquement à ma pensée la beauté sensible du bien supérieur aux sens, du bien purement moral. Cette fois, tandis que je lisais dans l’ouvrage de Le Conte les chapitres où il aborde le problème religieux et que j’y découvrais peu à peu, progressivement, la trame et l’objet du raisonnement, une surprise semblable s’emparait de moi, mon cœur battait à coups précipités comme à l’approche d’une révélation nouvelle. Les idées suggérées par le livre se déroulaient, se réalisaient rapidement dans mon esprit ; et voici que, sur le déclin de ma vie, une beauté sensible du vrai supérieur aux sens, du vrai purement intellectuel, montait et se révélait pour la première fois à mon