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âme. Elle n’avait pas menti, la voix fidèle et toujours entendue qui parlait en moi ; non seulement il n’y avait pas antagonisme entre Évolution et Création, mais l’image du Créateur se rapprochait de moi, elle grandissait prodigieusement dans mon esprit ; j’en éprouvais pour lui un respect nouveau, et, en même temps, un effroi semblable à celui qu’on éprouve en appliquant l’œil à l’oculaire d’un télescope et en découvrant tout à coup dans le miroir, tout proche et énorme, l’astre que, peu de temps auparavant, on regardait à l’œil nu dans le ciel.

Le crépuscule tomba et m’interrompit au milieu de mon travail avant que j’eusse fini ma lecture. J’abandonnai mon livre, je me mis à une fenêtre qui domine les plaines étendues entre les Alpes et la mer. Dans l’émotion religieuse de cette heure, en contemplant le levant obscur et profond, en écoutant les murmures et les bruissemens de la nuit qui paraissaient d’humbles paroles vivantes, toutes pleines du même sentiment religieux, j’ai éprouvé le plus grand encouragement de ma vie d’artiste et j’ai en même temps senti le besoin de rendre témoignage à la vérité infinie de sa divine lumière. Je lui ai rendu ce témoignage ; si mon esprit et si le temps me le permettent, je le lui rendrai encore. Je sais que je n’ai rien pu et que je n’aurais rien pu trouver par moi-même, que le premier secours m’est venu d’un livre, que beaucoup d’autres livres de profonds penseurs m’ont ensuite aidé, que mes convictions sont partagées par beaucoup d’autres personnes plus capables que moi de les défendre. Cependant, aucune semence ne peut dire : Je ne donnerai pas ma tige d’herbe, je ne donnerai pas mon témoignage de vie parce que je ne suis ni un palmier ni une rose, parce que je ne vivrai qu’une seule saison. Il y a une loi et un devoir pour l’herbe comme pour les roses et les palmiers de donner son témoignage à la vie ; il y a une loi et un devoir pour les esprits les plus faibles comme pour les plus puissans de donner leur témoignage au vrai : et tout ce qui obéit à une loi, tout ce qui accomplit un devoir, a par là même sa dignité.


Pourquoi Fogazzaro devait-il sentir en lui cette affinité profonde pour la théorie darwinienne ? Pourquoi avait-il cet instinct impérieux dont la satisfaction s’épanche en élans d’un si magnifique enthousiasme ? C’est que l’évolutionnisme lui apparaît comme la doctrine même du perfectionnement indéfini ; c’est qu’il signifie justement la marche à travers les espaces et les mondes de toutes les forces naturelles vers un état toujours supérieur ; c’est que l’ascension continue de l’imparfait vers le parfait devient la loi même de la nature. Fogazzaro n’admet pas plus la création totale du monde dans son état définitif qu’une action incohérente de forces désordonnées. Ce qui apaise les exigences de son esprit, c’est cette procession rythmée des mondes, parmi des myriades de siècles, vers la vérité totale qui est aussi le Bien suprême et la Beauté infinie. Comme il l’a perçu en lui,