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effleurer ses épaules et qu’il vit les deux petites mains pendre sur sa poitrine : « Non, non, joue encore, » murmura Louise, parce que François les avait attirées à lui ; mais comme lui, le visage renversé, cherchait, sans répondre, son regard et ses lèvres, elle lui donna un baiser et releva la tête en répétant : « Joue ! « Lui, attira plus fort encore les deux poignets prisonniers, réclama en silence les lèvres si douces, si douces : alors elle se rendit et mit sa bouche sur sa bouche dans un long baiser, plein d’abandon, singulièrement plus exquis et plus bienfaisant que le premier. Puis elle murmura encore : « Joue ! »


La lecture des romans de Fogazzaro impose une remarque bien frappante et d’où il apparaît combien le développement psychologique des caractères humains présente surtout pour lui la valeur d’un enseignement moral : c’est que ce sont toujours des hommes qui aiment selon son cœur. Le poète, Daniel Cortis, Pierre Maironi, le Saint ont de l’amour la conception qu’en a et qu’en veut faire naître l’auteur, — François Maironi comme les autres, bien qu’à un moindre degré et surtout d’une façon moins représentative. Les femmes au contraire, et au premier plan Hélène, Jeanne et Louise, aiment en amoureuses purement humaines, enfermées dans leur amour et le bornant à lui-même. Elles sont bien curieuses, ces femmes des romans de Fogazzaro. On dirait que sur elles toutes pèse un peu trop lourdement le souvenir de Louise Rigey ! On a vu en effet que l’auteur a renversé, dans le Petit Monde d’autrefois, les termes ordinaires du problème psychologique de l’amour. François est une âme religieuse, impulsive, toute d’élan et d’idéal, dénuée de sens pratique et d’équilibre intellectuel, un peu faible, un peu timorée. Louise est un esprit précis, déductif, raisonnant, épris d’un idéal abstrait, méprisant un peu l’enthousiasme comme une utopie, substituant à la noblesse de la générosité la froide grandeur de la justice. Sans doute elle aime son mari, mais son intelligence trop maîtresse d’elle-même le lui représente trop exactement, avec ses faiblesses et ses infériorités, et jamais la passion n’abolit en elle la lucidité du jugement, A plus forte raison cet amour ne dépasse-t-il pas la réalité dans le jugement des choses et du monde ! François est sensitif et mystique, Louise positive et rationaliste. Toutes les femmes de Fogazzaro sont un peu les filles spirituelles de Louise, jusque dans Il Santo, où Jeanne n’arrive à la foi que par la mort du Saint et où, des deux autres héroïnes, l’une est une protestante sans croyance et sans pratique, l’autre une protestante convertie, plus religieuse de cerveau que d’âme.