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Aussi le romancier n’incarne-t-il en aucune d’elles l’amour qu’il veut nous présenter comme type et comme modèle, — justement parce qu’elles ne sentent pas assez profondément Dieu pour comprendre cette manifestation divine, la plus éclatante de toutes.

C’est cette union constante avec Dieu qui, après avoir présidé à la naissance de l’amour, en accompagne tout le développement et les vicissitudes : et si cette conception peut paraître froide à nos esprits habitués à dissocier ces deux idées, l’œuvre de Fogazzaro en est au contraire une réalisation magnifiquement vivante. L’idée de la volonté divine, non pas supérieure aux exigences de la passion, mais conforme à la saine passion, ne s’intellectualise pas en effet dans l’âme de ses amoureux ; elle pénètre dans leur amour à l’état de sentiment agissant et ainsi qu’une force vivante. Elle ne les entraîne pas vers quelque chose de plus haut et de plus grand que l’amour, mais qui serait autre chose que lui et en dehors de lui : elle est inhérente au développement de cet amour, elle en est un élément. Ils s’aiment de toute la force de la passion humaine, mais ils s’aiment en Dieu. La pensée de Dieu leur est sans cesse présente. Non seulement ils ne la craignent pas comme étrangère à leur sentiment, mais ils la recherchent, et c’est au sommet de leurs plus beaux élans ou dans les crises les plus graves de leur amour qu’ils expriment cette pensée, à l’heure où toute autre expression serait trop faible pour rendre leur enthousiasme. C’est le poète qui s’écrie, un jour où il sent s’élancer en son âme avec une impétuosité grandissante son amour pour Violette et où il doute en même temps de pouvoir jamais se faire aimer d’elle :


Dieu sublime qui me donneras la mort, et qui aujourd’hui me donnes un plus puissant amour, bénie soit ma douce destinée ! — Comme une onde dans le ciel, ainsi vers Toi s’élance pion cœur !


C’est Daniel Cortis, qui répond par une seule parole au désespoir d’Hélène, à la veille du départ final qu’elle a décidé par une vertu surhumaine et après lequel jamais plus ils ne doivent se revoir : et cette seule parole, en cette heure douloureuse de passion exaspérée, est le nom sacré de Dieu.


Les yeux d’Hélène se voilèrent. Elle lutta, elle lutta anxieusement, mais deux larmes tremblaient à ses cils :

— Daniel, dit-elle, nous ne nous reverrons plus !

— Dieu est bon, répondit Cortis, gravement.

Les deux larmes tombèrent silencieuses.