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était enfin aimé suivant les rêves de sa vie terrestre, par un cœur tendre et fort qui lui serait fidèle sans fin.


Dans la même pensée Daniel Cortis trouve la force de résister à la passion d’Hélène qui n’est forte, au fond, que par lui et qui succomberait à la moindre faiblesse qui s’emparerait de lui. Si Cortis résiste et s’il ordonne la séparation définitive, dans des conditions où l’honneur humain se serait fort bien accommodé du contraire, ce n’est point qu’il n’aime pas Hélène ; il l’aime de toute son âme sensible et puissante ; mais l’amour n’est pas de ce monde ! Ce monde nous réclame pour d’autres devoirs : et qu’importe de différer de quelques années la joie de l’union, si c’est pour l’éternité que l’on diffère ! Tandis qu’Hélène s’abandonne, brisée, anéantie, Daniel Cortis, à la veille de leur dernière entrevue sur terre, s’exalte, « ivre d’un bonheur plus haut et plus sûr que toutes les vicissitudes terrestres ; » et il pense que Dieu lui dit :


Tu as mon âme, tu l’auras, elle, dans l’autre vie. J’ai voulu ce fruit de l’amour que je vous ai inspiré. Maintenant, qu’elle parte ! et toi, trempé par un feu violent, va, combats, souffre encore ; sois, parmi les hommes, un noble instrument de vérité et de justice !


Pierre Maironi et sa femme, la pauvre Élise, n’ont pas davantage connu les joies de l’amour, puisque, durant leur courte vie commune, leurs âmes ne se sont pas comprises. Ce n’est pas à dire que ces âmes soient à jamais séparées. Lorsque Élise rappelée à la raison pendant quelques heures avant de mourir demande pardon à son mari et ne veut pas savoir ce qu’elle-même doit lui pardonner, lorsqu’elle fixe d’une claire intuition l’heure prochaine de sa mort, il n’y a en elle aucun regret de mourir, ni chez Pierre aucune douleur de la perdre. Fogazzaro intitule le chapitre consacré à ces derniers instans et à cette entrevue suprême d’une expression superbement audacieuse : « In lumine vitæ. — Dans la lumière de la vie ! » et ce titre est commenté par les paroles de don Giuseppe Florès, le saint prêtre qui les assiste, à l’instant même où Élise vient de rendre le dernier souffle : « Ce n’est pas la mort ! C’est la lumière de la vie éternelle. » Ce disant d’ailleurs, il exprimait aussi la dernière pensée de celle dont la vie s’éteignait, puisque à son mari qui lui répétait passionnément, avec l’angoisse du remords :