Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Pour toujours à toi, tu sais, » elle répondait, heureuse : « Auprès du Seigneur. »

Ce sentiment n’est pas l’effet d’une crise aiguë, ni le résultat d’un bouleversement de l’âme échappant à ses appuis naturels : il est bien l’élément essentiel de l’amour dans tout son développement. C’est dans un de ses plus beaux jours de joie amoureuse que le Poète écrit :


La pensée de la mort brille toujours devant mes yeux dans les ardeurs les plus violentes de mon âme, mais de façon diverse ; dans les émotions que m’a données le sentiment intense de la nature, spécialement s’il se mêlait à des mélancolies cachées, j’ai désiré me dissoudre dans les choses ; dans les émotions de l’amour, j’ai désiré un monde plus haut, le monde de la lumière et de la vie que je sentais dans mon cœur, si différentes de toute lumière et de toute vie terrestres, et tellement supérieures !

Et la mort même, loin de révéler une illusion qui se dissiperait avec le temps, l’oubli et la lassitude, confirme le sens de l’union éternelle et vérifie l’espérance sublime ! L’union qui s’est ébauchée en ce monde, qui s’achèvera dans l’éternité, se prolonge entre les deux êtres séparés dont l’un traîne encore son enveloppe corporelle et dont l’autre a terminé son pèlerinage douloureux. La présence de l’âme délivrée est constamment sensible au voyageur terrestre. Violette est vraiment, réellement présente au Poète. Il a composé un sanctuaire avec les choses qui lui ont appartenu durant sa vie.


Reliques précieuses sans doute, mais il me reste bien autre chose d’elle, il me reste sa présence. Il ne s’agit pas de manifestations spirites ; je n’ai pas besoin d’une doctrine nouvelle pour croire à la survivance des âmes et à nos communications avec celles qui sont sorties de la vie mortelle ; je n’appelle donc pas et je ne vois pas de fantômes, je n’écoute et je n’entends pas les murmures de l’invisible, je n’ai pas de mystérieux contacts avec les ombres. Ce que je possède est mieux, c’est de la vie véritable, c’est de la puissance. Je sens mon aimée non par la foi seulement, mais par un sens véritable et réel, bien qu’intermittent ; par un sens qui n’a pas encore de nom, mais qui est, pourrais-je dire, la substance et le principe de nos sens corporels imparfaits et qui me donne des éclairs de certitude.


On imagine facilement la force morale qui résulte d’une semblable conception et d’une telle croyance. Amour orienté vers notre avenir céleste et d’abord vers tout ce qui nous y conduit et nous en rapproche, union constante et sensible avec une âme qui doit partager cet avenir et qui déjà nous fait participans