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résolu écartait-il, dans l’intérêt de la maison elle-même, le fils mineur ou incapable du prince qui n’était plus. De même il y avait des discussions continuelles à propos de l’exclusion ou de la reconnaissance des bâtards. Il arriva ainsi qu’un grand nombre de ces familles comptaient dans leur sein des membres mécontens, qu’on voyait assez souvent recourir à la trahison ouverte et se venger en tuant leurs proches. D’autres, vivant dans l’exil, se résignent à leur sort et considèrent leur situation sous un point de vue tout objectif, comme, par exemple, ce Visconti qui péchait au filet dans le lac de Garde. Le messager de son rival lui ayant demandé comment et quand il comptait revenir à Milan, il lui répondit : « Par le même chemin par lequel j’en suis sorti, mais pas avant que les crimes de mon ennemi aient dépassé mes propres méfaits. » Parfois aussi, les parens du souverain immolent ce dernier à la morale publique, violée d’une manière par trop scandaleuse, afin de sauver ainsi la maison elle-même. Dans certains États, l’autorité réside dans l’ensemble de la famille, de telle sorte que le prince régnant est tenu de s’éclairer des conseils des siens ; dans ce cas aussi, le partage du pouvoir ou de l’influence provoquait facilement les plus sanglantes querelles. »

Cette double illégitimité, politique et de naissance, isole le souverain, que l’abondance d’héritiers possibles et l’absence d’héritier certain désigne comme une cible vivante à tous les coups. Aussi toutes les histoires des villes italiennes, les histoires de toutes les maisons princières, grandes ou petites, sont-elles pleines de crimes de famille. Les Visconti, les Sforza de Milan, les Baglioni de Pérouse, les Malatesta de Rimini, les Manfredi de Faenza, de minuscules seigneurs comme les Pic de la Mirandole, et de très hauts seigneurs comme les Este de Ferrare, les Médicis de Florence, de plus hauts encore, des rois, les Aragon de Naples, et de plus hauts que des rois, des empereurs, ont plié sous cette loi commune. Quand on veut faire l’éloge d’une famille illustre, celle des Gonzague de Mantoue, on dit simplement d’elle qu’ « elle peut montrer ses morts. »

Il en est beaucoup des leurs que les Visconti n’auraient pas pu montrer. L’un d’eux, Bernabò, au dire des contemporains, eut, « à ne pouvoir s’y méprendre, » quelque ressemblance « avec les plus cruels des empereurs romains. » Le conteur Franco Sacchetti, dans les Nouvelles de qui il revient à plusieurs reprises,