Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — Messieurs, à vous revoir au carnaval ! »

Et, en longeant les fossés, les margandiers quittèrent la ville, par le faubourg Bretonnière. Ils prirent le chemin de Chagny.

Au long de la route de Chalon par Chagny, sur la gauche, la plaine s’étend toute plate, comme infinie, blanche de neige ; mais sur la droite ondulent les collines précieuses où croissent les meilleurs vins : le clos Saint-Désiré, les Aigreaux, les Grèves, le Clos du Roi, les Blanches-Fleurs, Aloys-Corlon. Au pied des collines, ou bien y grimpant à mi-côte, ces villages aux noms fameux, Pomard, Volnay, Meursault.

Peu avant d’atteindre Chagny, c’est-à-dire au village de Corpeau, les Mandrins changèrent de direction pour égarer la poursuite. Corpeau est un type de village bourguignon, à toitures en tuiles brunies, sur un mamelon que revêtent les clos de vigne entourés de murailles basses en pierres libres. Mandrin tourna brusquement sur sa droite, à angle aigu, descendant vers les prairies humides, où de minces filets d’eau sont jalonnés de saules rabougris et de longs peupliers. A la sortie du village, un grand puits à margelle grise, fendue par le temps, où pend un seau de fer, à la poulie rouge de rouille.

Les contrebandiers arrivèrent sur le soir à La Rochepot, dans un bas-fond, entre de hautes collines couvertes de chênes. Un château de l’ancien temps, d’aspect féodal, domine le paysage de ses rondes tours hautes, aux toitures aiguës, qui encadrent, sur le fond du ciel, la flèche de la chapelle gothique. Le village est comme un nid que l’oiseau aurait caché dans un creux. Les Mandrins rôdèrent autour du lieu, à l’entour de la nuit. Ils trouvèrent un pauvre homme qui avait tué un cochon, qu’ils lui achetèrent et, après l’avoir fait rôtir sur place, ils en firent leur souper. Les contrebandiers passèrent à La Rochepot la nuit du 18 au 19 décembre. Ils en repartirent avant l’aurore et traversèrent Nolay, « comme un foudre, » à huit heures et demie du matin.

Fischer avait quitté Besançon avec ses chasseurs, le mardi 16 décembre, avant l’aube. Il venait dépasser à Beaune, minuit sonnant, c’est-à-dire huit heures après le départ des contrebandiers.

Arrivés à la Croix-des-Châtaigniers, les Mandrins virent à leurs pieds la plaine d’Autun.

Il serait trop long d’énumérer ici les précautions qui avaient