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été prises pour rendre Autun, ville fortifiée, avec des troupes en garnison, capable de résister à l’attaque du bandit. Le colonel marquis de Ganay, gouverneur de la place, avait déployé en cette circonstance le zèle le plus beau : portes closes, rondes de nuit, sentinelles au guet ; les villages voisins étaient sommés d’envoyer des courriers à l’apparition de la moindre troupe en armes ; les soldats en faction aux portes de la ville les devaient fermer, sans autre procédure, dès qu’un groupe de plus de trois hommes serait signalé à l’horizon. Trois hommes. On revenait aux temps, que chantera Victor Hugo, où le jeune Aimeri prenait à lui tout seul Narbonne. Au fait, nous allons voir Mandrin prendre Autun à lui tout seul.

Il venait de quitter Creuzefond et il approchait de l’antique capitale des Eduens, quand il aperçut, longeant les rives de l’Arroux, que jalonnaient des aunes dénudés, une longue file de personnages, tout de noir habillés. Dans les champs, de place en place, des vols de corbeaux étaient comme semés sur la neige. Par momens l’un d’entre eux s’élevait à quelques mètres du sol, battait des ailes, puis il planait un instant, bercé par le mouvement de l’air qui lui faisait décrire des courbes légères, et il retombait sur un autre point. Et cette manière de procession avait véritablement l’aspect, elle aussi, d’un chapelet de grands corbeaux noirs égrenés le long de la rivière, sur la blancheur du chemin. Des brumes grises, traversées de reflets bleuâtres, estompaient le tableau.

Au premier moment, Mandrin crut à une attaque, car les hommes noirs venaient sur lui, à la queue-leu-leu. Singulier uniforme, il est vrai, et singulier ordre de bataille. Par prudence il n’en fit pas moins ranger ses contrebandiers, l’arme au poing. La troupe approcha : c’étaient de jeunes séminaristes, au nombre de trente-sept exactement, qui se rendaient à Chalon pour y recevoir les ordres, en l’absence de l’évêque d’Autun. Ils appartenaient aux meilleures familles de cette dernière ville.

La pieuse théorie était conduite par le supérieur du séminaire, l’abbé Hamard. Mandrin l’aborda et, après s’être fait connaître, il lui exposa que lui et ses jeunes élèves avaient mieux à faire qu’à se fatiguer en se rendant à Chalon. Ils allaient lui servir d’otages. Et il emmena les jeunes ouailles de noir vêtues jusqu’au faubourg Saint-Jean, où il les consigna sous bonne garde dans le couvent des Dames bénédictines.