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surpris et tué dans une excursion hors de la ville. Cela prouve, soit dit en passant, à quel point la sécurité est mal assurée à deux pas de notre camp ; mais il n’y a pas lieu d’en être surpris, et notre infortuné compatriote avait commis une grande imprudence ; il l’a payée de sa vie. Le général Drude a ordonné une reconnaissance dans un rayon étroitement limité, qui a été dépassé par le colonel du Frétay ; mais il y avait, au profit de cet officier, des circonstances singulièrement atténuantes. Le cadavre de M. Kuntzer, odieusement mutilé, a été trouvé à deux kilomètres de la ville, où il paraissait avoir été rapporté : le meurtre avait été commis plus loin. Le colonel du Frétay s’est mis à la poursuite des meurtriers : c’est dans cette poursuite qu’il a dépassé la limite qui lui avait été fixée. A un certain moment, les crêtes environnantes se sont garnies de Marocains et notre petite troupe a été attaquée dans des conditions dangereuses pour elle. Elle a fait face à l’ennemi avec beaucoup de courage : on ne sait cependant ce qui serait arrivé, si le général Drude, averti, n’était venu la dégager. Nous avons perdu là un capitaine et un soldat, et nous avons eu une demi-douzaine de blessés. Le colonel du Frétay a été frappé de trente jours d’arrêt pour ne s’être pas conformé strictement aux instructions qu’il avait reçues. Lorsque cette sévérité y a été connue, la nouvelle n’en a pas produit à Paris une impression bien bonne : elle a été généralement blâmée. Quant à nous, nous y avons vu surtout une preuve nouvelle de la volonté très ferme où était le gouvernement de ne pas se laisser engager à l’intérieur du Maroc sous prétexte, tantôt de poursuivre des assassins, tantôt de protéger une tribu qui s’est soumise, et toujours de faire de l’ordre. Mais presque aussitôt nous avons appris que le gouvernement avait d’autorité relevé le colonel du Frétay de la punition qui lui avait été infligée, et alors nous avons commencé à éprouver de l’embarras pour comprendre. Peut-être le général Drude était-il allé un peu loin en frappant le colonel du Frétay comme il l’avait fait ; mais il n’était pas sans inconvénient de le désavouer publiquement, et nous nous sommes demandé ce que cela voulait dire. Les mauvaises langues, — il y en a toujours, — ont prétendu que la punition et la levée de la punition étaient également parties de Paris ; mais sans doute elles ont tort.

Il ne faut pas attacher à l’incident plus d’importance qu’il n’en a ; cependant il en a une qu’il ne faut pas non plus méconnaître, et il est de nature à jeter quelque incertitude sur la fermeté de nos intentions. Cette incertitude, à vrai dire, a quelque peu augmenté ces derniers jours, c’est-à-dire depuis que le sultan Abd-el-Aziz est venu à Rabat et