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Nous voudrions ne rien dire du procès qui vient d’avoir lieu en Allemagne, d’autant plus qu’il n’est pas terminé et que le comte de Moltke a fait appel du jugement qui a acquitté son diffamateur. Celui-ci, à quelque point de vue qu’on se place, ne saurait trouver de sympathie que chez ceux qui mettent la satisfaction de leurs sentimens personnels au-dessus de l’honneur et de la considération de leur pays. Non pas que l’honneur et que la considération de l’Allemagne dépendent du scandale que M. Harden a déchaîné ; quand même les faits qu’il a énoncés seraient prouvés, — et ils ne le sont encore que très imparfaitement, — il y a des malheureux partout, et il serait injuste de rejeter sur tous la honte de quelques-uns ; mais enfin, cette boue étalée à la face du monde ne laisse pas de faire des éclaboussures salissantes, et tout autre que M. Harden aurait sans doute compris qu’il aurait mieux valu ne pas la remuer.

Si encore M. Harden s’était proposé de venger la morale outragée ! Mais il a déclaré lui-même que telle n’était pas sa préoccupation, et qu’il avait voulu exercer seulement une influence politique, en détruisant une autre influence qui s’exerçait à l’encontre de la sienne ou de celle de ses amis. L’Empereur, a-t-il dit, était entouré d’une camarilla dont l’action lui portait ombrage. Il s’est demandé de quoi il pourrait accuser les hommes qui en faisaient partie, et on sait quelle accusation il a choisie. A-t-il dit du moins que M. de Moltke, — pour ne parler que de lui, — avait commis des actes criminels ? Non, il a dit que M. de Moltke était enclin, peut-être inconsciemment, à les commettre, que la nature l’y avait prédisposé, mais qu’il ne l’accusait nullement d’avoir succombé à ses penchans anormaux. C’est une forme nouvelle de procès de tendance. En France, nous aimons plus de loyauté : un diffamateur qui userait de pareilles insinuations, sans oser apporter une affirmation et une preuve directes, recueillerait sans doute autre chose que des applaudissemens. Il paraît qu’en Allemagne on est moins difficile. Certes, nos mœurs politiques sont devenues bien brutales, et nous regrettons chaque jour de les voir se dégrader davantage ; mais il n’est venu jusqu’ici, chez nous, à l’idée de personne d’attaquer un adversaire politique dans la partie la plus secrète de sa vie privée et d’aller chercher contre lui dans des détours infâmes des armes dont la main qui les touche reste souillée. Pour tout dire, l’espèce de faveur dont M. Harden a été entouré dénote l’existence, en Allemagne, d’un autre mal encore que celui dont il a fait tant de bruit. On s’est attaché à ses révélations pour elles-mêmes, et non pas pour les conséquences politiques qu’il prétendait en tirer. Mais enfin, puisqu’il poursuivait un