Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/484

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

but politique, il faut bien que nous nous demandions quel il était. Les hommes qu’il a poursuivis de sa haine féroce, dont il a provoqué sans pitié la disgrâce et qu’il a réussi à faire flétrir par un tribunal, exerçaient sur l’Empereur une influence modératrice, dans le sens de la conciliation avec les intérêts français, et par cela même favorable au maintien de la paix. Voilà leur crime aux yeux de M. Harden ; il n’a pas hésité à le dire, et c’est pour les empêcher d’y persévérer qu’il les a accusés d’autre chose et les a déshonorés. Nous ne rechercherons pas s’il a obéi à la seule impulsion de ce qu’il appelle sa conscience, ou s’il n’a pas été l’instrument d’autres vengeances que les siennes. Il appartient, lui aussi, à une camarilla dont l’influence avait diminué et qui voulait à tout prix la ressaisir et l’augmenter, camarilla qui poussait à la provocation de la Fiance, quelles qu’en pussent être d’ailleurs les conséquences. Ces deux camarillas luttaient dans l’ombre et prétendaient l’emporter l’une sur l’autre auprès du maître. M. Harden est sorti de cette ombre ; il a changé en apparence l’objet de la dispute et l’a porté en pleine lumière sur un terrain de son choix. Il a réussi, et si la fin justifie les moyens, même les plus ignobles, il peut s’enorgueillir de son succès. Nous ne parlerons pas d’accusations du même genre lancées contre le chancelier de l’Empire : le vraisemblable a des limites, et M. Brandt les a un peu trop grossièrement dépassées. Mais M. Brandt a d’ailleurs tout l’air de n’être qu’un maniaque. M. Harden, au contraire, se flatte d’être un grand politique, et il le prouve en ne reculant devant rien.

On accuse volontiers, en Allemagne, l’opinion française de manquer de retenue morale, et de se plaire au scandale, même lorsqu’il se produit en France, à plus forte raison lorsqu’il éclate au dehors. Le cas actuel montre combien cette accusation est peu fondée. L’opinion chez nous n’a pris aucun plaisir aux révélations de M. Harden. Elle en a été plutôt offensée dans l’instinct qu’elle a de certaines convenances qui doivent toujours être ménagées, sa pudeur en a été révoltée, et le vrai sentiment qu’elle en a éprouvé est celui d’un dégoût dont le diffamateur a eu sa très large part.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.