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jeunes ou vieux, arrêtés pour vol, gagnent, pour la plupart, des journées de nature à les mettre à l’abri de tous les besoins pressans ; on a trop bien établi que, présentement[1], dans les pays les plus divers, le mouvement ascendant du crime suit l’accroissement du bien-être général et l’élévation des salaires. Il a fallu abandonner la vieille explication socialiste.

On s’est alors rabattu sur les iniquités de l’organisation économique du siècle et sur la méconnaissance des droits des travailleurs : droit à la possession de tous les instrumens de son travail, droit à la jouissance intégrale de tous les produits de son travail personnel. On sait comment se glissent ici bien des sophismes à la faveur de ces mots obscurs : « instrumens de travail, produits du travail. » Que de produits du travail personnel d’un individu qui deviennent les instrumens du travail amélioré des autres et qui, par conséquent, ne peuvent pas lui être enlevés purement et simplement au profit de n’importe qui ! Que de produits du travail où le travail manuel n’a qu’une part et où, loin de constituer une plus-value dont il ait le droit de se dire spolié, c’est lui qui bénéficie au contraire d’une plus-value dont il ne veut pas se rendre compte ! Dans ce mépris du capital et des grandes organisations qu’il a créées avec l’aide de l’effort intellectuel, dans cette méconnaissance obstinée des bienfaits que l’un et l’autre assurent de plus en plus à l’ouvrier proprement dit, dans les convoitises impatientes, dans les jalousies, dans les haines qu’elles alimentent, il y a certainement des germes de crime. Il y en a aussi dans les excès de convoitises satisfaites à trop bon compte et dans les étalages d’un luxe à la fois insultant et tentateur. La corruption vient donc à la fois d’en haut et d’en bas. Bien des moralistes pensent que c’est surtout d’en haut qu’elle vient, et ils ont malheureusement trop de raisons à invoquer. Mais il faut toujours en revenir à cette vérité que, malgré toutes les transformations imaginables, il y aura éternellement des inégalités, et des inégalités dont beaucoup

  1. Je dis présentement, les conditions morales de la vie publique étant données. Je ne prétends nullement que ce soit là une loi dont il faille tirer comme conséquence la nécessité de la pauvreté. On peut très bien concevoir, il faut même concevoir, — pour le réaliser, — un état de choses où le progrès du bien-être aille de pair avec l’accroissement de la moralité. Des socialistes supérieurs à l’ensemble de leur parti sont bien de cette opinion, car ils se préoccupent sérieusement de la moralité de leurs adeptes ; seulement, ils croient que l’accroissement du bien-être suffit pour amener l’autre. Là est l’illusion. Voyez la Belgique criminelle.