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les mouvemens plus que suspects des Beni-Snassen, et il a conseillé avec quelque insistance l’occupation provisoire de Cherraà, petit poste situé à l’ouest d’Oudjda, mesure qui devait suffire pour tenir la tribu en respect. Ce résultat aurait peut-être été atteint en effet, mais cela n’est pas certain : le gouvernement a pu se dire qu’après avoir occupé un point pour couvrir Oudjda, il faudrait en occuper un second pour couvrir le premier, et que cela risquerait de conduire un peu loin. M. le gouverneur général de l’Algérie était d’accord avec le général Lyautey. Ils étaient dans leur rôle et ils remplissaient leur devoir l’un et l’autre ; mais le gouvernement, qui considérait la situation dans son ensemble, avait aussi d’autres préoccupations.

À ce moment, nous n’étions pas rassurés sur la manière dont évolueraient d’autres incidens, avec lesquels nous étions aux prises, et on estimait à Paris qu’il était prudent de stopper sur la frontière terrestre jusqu’à ce que l’horizon se fût éclairci du côté de Casablanca. « La situation de l’empire chérifien, écrivait M. Clemenceau à M. Jonnart, nous impose l’ajournement de toute mesure qui pourrait donner à croire au Sultan, aux populations et aux puissances étrangères que nous cherchons à profiter des troubles intérieurs, des compétitions dynastiques et de la faiblesse du Maghzen pour avancer nos établissemens dans la région frontière. Bien que vos suggestions aient, dans votre pensée, un autre caractère, il serait à craindre que leur exécution ne provoquât des rapports inexacts et des exagérations populaires. Je vous prie donc de donner les instructions nécessaires pour que les autorités militaires d’Oudjda continuent d’observer la réserve que nous commandent les circonstances et se conforment strictement aux ordres qu’elles ont précédemment reçus. Lorsque les complications d’ordre militaire et politique que nous devons nous attacher en ce moment à résoudre auront été écartées, nous reprendrons l’examen des mesures qu’appelle l’état de la région frontière, pour le choix desquelles le gouvernement prendra votre avis. » Malgré ce qui s’est passé depuis, cette lettre était fort sensée au moment où elle a été écrite. Après avoir fait envers nous un simulacre de soumission, les Beni-Snassen nous ont attaqués ; il n’y a pas là de quoi nous émouvoir beaucoup ; nous avons déjà repoussé leur agression et nous serons bientôt à même de leur infliger en retour une de ces leçons dont on se souvient. Personne aujourd’hui ne peut nous contester le droit et même le devoir de le faire. D’autre part, nous avons inspiré confiance au Sultan, nous lui avons rendu des services, ses affaires se sont améliorées, la situation à Casablanca et dans les