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derniers en se rendant à Rome, il a vivement recommandé l’acceptation, dans ses grandes lignes, de la proposition de M. Isvolski. La riposte russe au discours du 27 janvier aurait donc été heureuse, et la Russie reprendrait, du coup, dans les Balkans, le rôle de premier plan que les circonstances l’avaient pendant quelque temps obligée à laisser à d’autres : ce serait un favorable retour à sa politique traditionnelle.

Si l’entente des grandes puissances autour de la proposition russe est réelle et solide, si le Sultan en a conscience et renonce à chercher, dans le concert européen, les fissures qu’il savait, avec tant d’art, découvrir et élargir pour y faire passer sa politique personnelle, le programme russe pourra devenir la base d’un nouveau statut acceptable pour la Macédoine et pour les États balkaniques qui sont intéressés directement à son sort. La certitude que le Sultan restera le souverain de la Macédoine mais que des réformes complètes y seront appliquées sous sa haute autorité, en même temps que sous le contrôle effectif de l’Europe, est de nature à assurer la paix dans les Balkans. Il y a en Europe, un élément nouveau qui ne peut pas échapper au politique avisé qu’est Abdul-Hamid : les puissances sont décidées à en finir avec ces affaires de Macédoine éternellement renaissantes. Depuis six ans, en opposant, par un jeu très adroit, les grandes puissances les unes aux autres, en laissant les bandes grecques et serbes, en Macédoine, faire échec, par leur propagande armée, à « l’organisation » bulgare et accroître la sanglante anarchie où se débattent ces malheureuses provinces, le Sultan a réussi à empocher le triomphe d’une révolution nationale et à donner l’impression qu’à Monastir, à Uskub, ou à Salonique, comme au Saint-Sépulcre, c’est le gendarme turc qui empêche les chrétiens de s’entre-détruire ; il a donc gain de cause au principal. Mais le jeu ne peut plus durer ; l’Europe sent qu’elle a été dupée, et elle est à bout de patience ; la Russie et l’Angleterre ont des raisons décisives de vouloir aboutir à une solution pacificatrice. En acceptant rapidement et en appliquant loyalement le programme russe, il appartient au Sultan de donner satisfaction à l’Europe et aux États balkaniques[1], et par conséquent d’assurer la paix.

  1. Dans l’ensemble, la Bulgarie accepte le projet russe en insistant pour que la Commission européenne, siégeant à Salonique, ait le pouvoir de surveiller de près l’exécution de ses décisions. La Serbie accepte en attirant l’attention de l’Europe, — à très juste titre, — sur la nécessité d’étendre les réformes à tous les sandjaks qui en étaient jusqu’à prescrit exclus, et notamment la Vieille-Serbie où l’anarchie est à son comble ; elle demande aussi que l’Église serbe soit reconnue, dans l’Empire ottoman, comme le sont les Églises grecque et bulgare. Quant à M. Skouzès, ministre des Affaires étrangères hellénique, il se prononce, s’il faut en croire une interview qu’a donnée la Neue Freie Presse de Vienne, pour une délimitation préalable des sphères d’influence en Macédoine. Il en reviendrait donc à cet article 3 du programme de Mürzsteg qui a été unanimement reconnu nuisible et désavoué même par les deux puissances qui l’avaient, en 1903, inséré dans leur programme.